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précieux volumes de matériaux qu’elle a consacrés à l’histoire, à la législation, aux vieilles coutumes de l’Ukraine (tout un volume est consacré à la colonie juive), a chargé MM. Tchoubinski et Kostomarof, l’historien si populaire sur les rives du Dnieper, d’éditer un recueil de poésies nationales, qui offre comme un tableau complet de la vie cosaque sous tous ses aspects : l’amour, la famille, la guerre, le commerce, le brigandage. M. Routchenko a publié les chansons des tchoumaks, hardis négocians qui servaient d’intermédiaires entre la Petite-Russie et les pays tatars. MM. Antonovitch et Dragomanof viennent d’éditer le premier volume des chansons historiques avec de savans commentaires. Enfin l’histoire de la réunion des Ukraines à la Grande-Russie par M. Koulich, œuvre riche de faits et de points de vue nouveaux, d’une franchise audacieuse dans ses appréciations ; d’un mérite littéraire considérable et d’une lecture entraînante, va nous offrir le commentaire animé de cette poésie cosaque.


II

La nationalité ukrainienne s’est formée à peu près de la même façon que les nations modernes de l’Amérique, par voie de colonisation. Les incursions des Petchenègues et des Polovtsi du Xe au XIIe siècle, les invasions tatares depuis le XIIIe avaient fait des bassins du Bas-Dniéper, du Dniester et du Boug un véritable désert. C’est vers la fin du XVIe siècle que les contrées les plus éloignées de la Mer-Noire, les mieux à l’abri des irruptions musulmanes, commencèrent à se repeupler et que des centres nouveaux se formèrent sous la protection des forteresses de Bar, Bratslaf, Kief et Vinnitsa. Cependant l’Ukraine proprement dite restait inculte : c’était comme une terre nouvelle à coloniser et presqu’à découvrir. Un écrivain polonais de ce temps s’écriait : « Il est bien étrange que les Portugais et les Hollandais se soient rendus maîtres des antipodes et du Nouveau-Monde, et que nous, Polonais, nous n’ayons pas encore réussi à occuper un pays si fertile, si rapproché de nous et qui nous appartient. Nous le connaissons moins bien que les Bataves ne connaissent les Indes-Orientales. » Déjà quelques seigneurs polonais ou des magnats russes du grand-duché de Lithuanie s’étaient mis à l’œuvre. Ils s’étaient fait donner par le roi des concessions de territoires, d’autant plus étendues que le gouvernement lui-même n’en connaissait pas au juste la situation. Il était généreux à la manière d’Alexandre VI, qui accordait en bloc aux Espagnols et aux Portugais tout ce qu’ils pourraient découvrir à l’est ou à l’ouest d’un certain méridien. Pour peupler le pays, les concessionnaires en usèrent à peu près comme les créateurs de nos