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mots : « il est fou ! » Cinq ans plus tard, le rêveur de Ham remettait son épée au fou de la Marche.

« J’appartiens, — telle fut la déclaration provocante de M. de Bismarck dans un de ses premiers discours à la chambre, — j’appartiens à une opinion qui se fait gloire des reproches d’obscurantisme et de tendances au moyen âge ; j’appartiens à cette grande multitude qu’on oppose avec dédain à la partie plus intelligente de la nation. » Il voulait un état chrétien. « Sans base religieuse, disait-il, l’état n’est qu’une agrégation fortuite d’intérêts, une espèce de bastion dans la guerre de tous contre tous ; sans cette base religieuse, toute législation, au lieu de se régénérer aux sources vives de l’éternelle vérité, n’est plus que ballottée par des idées humanitaires aussi vagues que changeantes. » C’est pour cela qu’il se prononçait contre l’émancipation des Juifs et repoussait surtout avec horreur l’institution du mariage civil, institution dégradante et qui « faisait de l’église le porte-queue (schleppentraeger) d’une bureaucratie subalterne[1]. » Il fut aussi intransigeant pour le trône que pour l’autel : il narguait le principe de la souveraineté du peuple ; le suffrage universel (qu’il devait introduire lui-même un jour par tout l’empire d’Allemagne !) lui paraissait un danger social et un outrage au bon sens. Il niait les droits de la nation ; la couronne seule avait des droits : le vieil esprit prussien ne connaissait que ceux-là, — « et ce vieil esprit prussien est un Bucéphale qui se laisse bien monter par son maître légitime, mais qui jettera par terre tout cavalier de dimanche (sonntagsreiter) ! »

Adversaire résolu des idées modernes, des théories constitutionnelles et de tout ce qui formait alors le programme du parti libéral en Prusse, le député de la Marche combattait avec la même énergie les deux grandes passions nationales de ce parti : la « délivrance » du Slesvig-Holstein et l’unité de l’Allemagne. Il déplorait que « les troupes royales prussiennes fussent allées défendre la révolution dans le Slesvig contre le souverain légitime de ce pays, le roi de Danemark ; » il affirmait qu’on faisait à ce roi une véritable querelle d’Allemand, qu’on lui cherchait noise « à propos de bottes » (um des kaisers bart), et il n’hésitait pas à déclarer, au milieu d’une chambre frémissante, que la guerre provoquée dans les duchés de l’Elbe était Il une entreprise éminemment inique, frivole, désastreuse et révolutionnaire…[2] » Quant à l’unité de l’Allemagne,

  1. Séance de la chambre du 15 novembre 1849. On sait que le chancelier d’Allemagne a dernièrement fait voter une loi qui institue en Prusse le mariage civil. — Du reste aucun des discours qui vont être cités ne se trouve dans le recueil officiel des discours de M. de Bismarck publié à Berlin.
  2. Séance de la chambre du 21 avril 1849. Voyez aussi l’interpellation de M. Temme dans la séance du 17 avril 1863.