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Dans un moment de faiblesse paternelle, l’empereur Nicolas avait un jour consenti à l’union de sa fille, la grande-duchesse Marie, avec le duc de Leuchtenberg, « le fils d’un Beauharnais, officier catholique au service du roi de Bavière, » comme on se le chuchotait avec tristesse dans les cercles intimes du Palais-d’Hiver. Nicolas n’était pas homme à revenir sur une parole donnée, mais il n’en sentit pas moins l’aiguillon de ce que son entourage ne cessait d’appeler une mésalliance, et l’amertume augmenta alors qu’aucun des membres étrangers de la famille impériale ne vint assister aux brillantes fêtes qui précédèrent ou suivirent la cérémonie nuptiale. Le malheur voulut que bientôt après une proche cousine du nouveau gendre impérial et fille de l’ex-roi Jérôme épousât un Russe enrichi dans l’industrie, prince dans la vallée de l’Arno, mais à peine gentilhomme sur les bords de la Neva, — accident fâcheux et qui, au dire des courtisans consternés, faisait de l’autocrate de toutes les Russies le parent de l’un de ses sujets ! Il devenait urgent d’effacer toutes ces impressions pénibles et de prendre par une alliance éclatante la revanche incontestable de tant de déceptions. On s’était flatté un moment de pouvoir faire accepter la grande-duchesse Alexandra à un archiduc d’Autriche ; mais on avait dû se rabattre sur un prince de Darmstadt. Pour la grande-duchesse Olga, la plus belle et la plus aimée des filles de l’empereur, on avait jeté son dévolu sur le seul prince royal alors disponible, l’héritier présomptif du trône de Wurtemberg, de l’antique et illustre maison de Souabe.

Le projet ne fut pas d’une exécution si facile. Le bon peuple souabe n’y goûtait guère ; un mariage russe l’inquiétait pour ses libertés constitutionnelles. Ce qui était plus grave, c’est que le vieux roi Guillaume de Wurtemberg lui-même, souverain honnête, libéral, mais entêté entre tous, se montrait quelque peu récalcitrant, et cumulait comme à plaisir les moyens dilatoires. D’autres objections vinrent encore de divers côtés ; mais le ministre plénipotentiaire russe à Stuttgart, l’ancien condisciple de Pouchkine, sut les écarter toutes avec une habileté consommée : à force d’art et d’adresse, il parvint à établir la grande-duchesse Olga dans la famille royale de Wurtemberg. La joie de l’empereur Nicolas fut grande et expansive, et le Palais-d’Hiver chanta les louanges du diplomate paranymphe. Après un succès pareil, le prince Gortchakof pouvait certes demander à être avancé dans la carrière, rapproché de quelques jalons vers cette ambassade de Vienne qu’on s’accordait à considérer comme le but suprême de son ambition. Il n’en fit rien cependant, et montra une patience admirable, — la patience du patriarche Jacob auprès de Laban, fils de Nahor. Au stage de quatre ans qu’il avait déjà fait à Stuttgart, Alexandre Mikhaïlovitch se déclara tout prêt à en ajouter un second d’un terme