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communauté d’idées et d’une harmonie d’action comme en a rarement connu l’histoire chez deux ministres dirigeant deux différens empires.

Ce n’est pas, le lecteur s’en doute bien, un travail de ce genre qu’on a voulu entreprendre dans les pages qui vont suivre. A peine y a-t-on hasardé la très légère esquisse d’un tableau qui, pour être tant soit peu complet et satisfaisant, eût demandé des proportions bien autrement grandes et surtout une main bien autrement habile. Sans prétendre apporter ici des matériaux nouveaux et inédits, ni même réunir tous ceux qui sont déjà connus, on a seulement fait choix de quelques-uns, essayé de les ranger, de les coordonner de manière à faciliter certaines perspectives. On a dû renoncer à vouloir donner aux différentes parties une valeur égale de dessin et de ton, et on ne s’est pas même astreint à suivre dans le récit une marche bien régulière et méthodique. Devant un sujet aussi vaste et qui présente tant de faces et de facettes, on a cru qu’il était permis, qu’il était même parfois utile de varier les points de vue et de multiplier les aspects.


I

Comme les Odoïefski, les Obolenski, les Dolgorouki et mainte famille aristocratique sur les bords de la Moskova et de la Neva, les Gortchakof se font gloire, eux aussi, de descendre des Rourik ; plus distinctement ils prétendent tirer leur origine d’un des fils de Michel, grand-duc de Tchernigof, mis à mort vers le milieu du XIIIe siècle par les Mongols de Batou-khan, et proclamé depuis martyr de la foi, élevé même au rang des saints de l’église orthodoxe. On ne rencontre toutefois que très peu d’illustrations du nom de Gortchakof dans les sombres et émouvantes annales de la vieille Russie : l’époque qui précéda l’avènement des Romanof connut surtout un Pierre Ivanovitch Gortchakof, commandant infortuné de Smolensk, qui rendit aux Polonais cette place forte célèbre après deux années d’une résistance énergique et désespérée. Il fut emmené à Varsovie, et là en 1611, avec le tsar Vassili, les deux princes Schouyski, Séhine et nombre de boïars puissans, il dut faire partie du fameux. « cortège de captifs » que le grand-connétable Zolkiewski présenta un jour, — honorificentissime, dit la relation du temps, — au roi et au sénat de la république sérénissime. Ce n’est que dans la seconde moitié du siècle dernier, sous le règne de Catherine II, qu’un prince Ivan Gortchakof réussit, grâce surtout à son mariage avec une sœur de l’opulent et redoutable Souvorof, à relever l’éclat de son antique maison, qui depuis n’a cessé de se distinguer dans les différentes branches du service de l’état, principalement dans la