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principal motif de l’opposition des vieux-croyans ; ils se refusent à entrer dans ce bercail officiel, dont les prêtres ne célèbrent les anciens rites que par obéissance à l’autorité et n’ont pour les cérémonies vénérées de leurs ouailles qu’une dédaigneuse tolérance. Les habitudes de liberté des vieux-croyans sont un autre obstacle à l’union. Accoutumés à élire leurs prêtres et à les tenir sous un étroit contrôle, ils repoussent le pope nommé comme un fonctionnaire et traité comme un employé de l’état[1].

Par une de ces transformations fréquentes dans l’histoire des révolutions et des hérésies, le point de départ initial du raskol, le formalisme ritualiste des anciens vieux-croyans a cessé d’être la principale cause de la persistance du schisme. Dans sa lutte même contre l’orthodoxie officielle, le raskol a trouvé une raison d’être nouvelle. Si la popovstchine persiste encore, c’est qu’elle personnifie la résistance populaire à l’ingérence de l’état dans les affaires ecclésiastiques, c’est qu’elle est devenue une protestation contre toute dépendance apparente ou réelle de la religion. Les vieux-croyans hiérarchiques demandent à leur manière la séparation du temporel et du spirituel, la séparation de l’église et de l’état. Ils réclament la liberté de l’église sans se rendre compte que par leur longue révolte ils ont été les premiers à l’affaiblir en la dépopularisant et ont plus que personne contribué à la mettre dans la dépendance du pouvoir civil. Ils réclament la restauration de l’ancienne constitution ecclésiastique, la restauration d’un patriarcat national, sans se rendre compte qu’une telle autorité serait peu en harmonie avec leurs habitudes religieuses, avec leurs mœurs à demi presbytériennes. On distingue chez eux deux tendances ailleurs souvent séparées : ils aspirant à rendre l’église indépendante du pouvoir civil, mais ce n’est point pour en remettre tout le gouvernement au clergé, c’est plutôt pour donner dans l’église une part plus large, un rôle plus direct à l’initiative des laïques et du peuple chrétien. En maintenant la nécessité d’un sacerdoce, les popovtsy ne sont, pas plus que les sans-prêtres, pas plus que les Russes orthodoxes, enclins à abdiquer dans les mains du prêtre ; à cet égard, chez eux comme chez toutes les sectes russes, il n’y a aucun vestige de sacerdotalisme ou de cléricalisme, et ce n’est pas là un des traits les moins curieux du caractère moscovite. Une église autonome s’administrant elle-même sous l’influence et sous le contrôle des fidèles, grâce à l’élection du clergé, une église nationale populaire et démocratique, tel semble être l’idéal religieux des vieux-croyans. Ainsi

  1. L’édinoverié a malgré cela reçu dans ces dernières années un chiffre notable de vieux-croyans, parmi lesquels des prêtres et même des évêques. Les statistiques gouvernementales, qui confondent systématiquement les édinovertsy avec les orthodoxes, ne nous permettent malheureusement pas d’évaluer le nombre des premiers.