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regarder comme une utopie. Espérons que nous n’aurons pas besoin de recourir souvent à ces arbitres souverains ; puisse la crise que nous venons de traverser ne pas se reproduire de longtemps ! Il faut que chacun s’applique à en prévenir le retour, et que la sincérité et un courageux bon sens viennent en aide à la prudence. Il y a deux espèces de politique, la politique d’intérêt et la politique de sympathie ; la première est la seule qui convienne à la France ; la seconde, qu’elle a trop pratiquée, lui a coûté cher, elle y doit renoncer pour toujours. Si l’on se persuadait en Europe que la France ne consulte que ses intérêts, qui pourrait désormais se permettre de suspecter ses intentions ? Ne sait-on pas combien elle est intéressée au maintien de la paix ? La politique de sympathie est sujette à de dangereux entraînemens, et les ennemis de la France la soupçonnent de complaisances secrètes qui l’isolent du reste de l’Europe, car elles ne sont partagées par aucun des gouvernemens dont elle recherche l’amitié. Ses infatigables accusateurs la rendent responsable et des opinions connues de tel de ses agens diplomatiques, et des discours de ses pèlerins, et de l’étrange harangue prononcée l’autre jour dans le congrès des cercles catholiques par un officier de l’armée, lequel a déclaré, aux applaudissement de son auditoire, que le libéralisme est un poison mortel et que l’application stricte du Syllabus était le seul remède à tous nos maux ! Qui peut croire que le gouvernement français approuve ce genre d’éloquence ! Le malheur est qu’il ne s’explique pas assez ; il aime à se taire, et peut-être abuse-t-il de silence. S’il parlait, ce serait pour dire qu’il n’a pas d’autres amis ni d’autres ennemis que les amis et les ennemis des intérêts français. Quand les dévots demandèrent an roi de Prusse Frédéric-Guillaume III de décréter de prise de corps le philosophe Fichte, qu’ils accusaient d’athéisme, il leur répondit : « Si Fichte conspire contre moi, je m’occuperai de le mettre à la raison ; s’il est en délicatesse avec le bon Dieu, qu’ils s’arrangent ensemble ! ce ne sont point mes affaires. » Comme le roi Frédéric-Guillaume III, le gouvernement français ne s’occupe que de ses propres affaires ; il est le mandataire de la France, qui seule a le droit de disposer de lui, et, quand il aurait la puissance de faire tout ce qui lui plaît, il ne l’emploierait pas à conduire les mécréans à Canossa.