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Est-ce à dire que M. de Bismarck méditât une déclaration de guerre et qu’il ait été arrêté dans ses desseins par la pression de l’Europe ? Croirons-nous, comme on a osé l’en accuser, qu’il eût l’intention d’envahir inopinément la France en disant aux vaincus de 1870 : — Vous êtes trop riches et trop industrieux, vous avez trop de ressources et trop de crédit, vous vous relevez trop facilement de vos défaites. Je me suis trompé, je m’en accuse devant le ciel et devant l’Allemagne ; en vous imposant une contribution de 5 milliards, j’avais cru vous mettre dans l’impossibilité d’avoir une armée et une marine. Je veux réparer mon erreur, et cette fois le mémoire à payer sera tel que désormais vous serez à ma merci. — Prêter à M. de Bismarck de si monstrueux projets, c’est méconnaître le respect qu’a pour sa gloire un homme de son caractère et de son génie, et l’attention qu’il a toujours eue à sauver les apparences ou à les mettre de son côté. Que s’est-il proposé en donnant une alerte à l’Europe ? Un journal qui passe pour recevoir quelquefois ses confidences s’est chargé de nous révéler le secret de sa conduite en nous apprenant que M. de Bismarck a l’habitude de faire souvent ses inventaires. C’est une habitude de bon négociant, qui convient aussi à un homme d’état prévoyant et avisé. M. de Bismarck aime à constater sa perte ou son gain de l’année, à évaluer au prix courant les effets dont il peut disposer, à s’assurer que le temps ne les a pas dépréciés. M. de Bismarck a des alliés auxquels il tient beaucoup ; mais dans plusieurs conjonctures où il avait besoin de leur adhésion, ils ont paru la lui marchander. Il les avait trouvés un peu froids, un peu trop réservés, trop disposés à dire que les alliances n’interdisent pas les divergences sur certains points, et qu’elles laissent à chacun une certaine liberté d’action. Il n’a pas été fâché d’avoir l’occasion de s’expliquer avec ses alliés ; il a été bien aise qu’ils eussent des questions à lui adresser, ce qui lui permettait de les questionner à son tour, — qu’ils eussent des explications à lui demander, ce qui l’autorisait à leur en demander aussi et à leur faire comprendre au prix de quelles garanties il peut consentir à ne plus avoir d’inquiétudes compromettantes pour le repos de l’Europe. M. de Bismarck a un procès avec l’église, et le parlement prussien a voté un certain nombre de lois ecclésiastiques qu’on paraît désirer d’étendre à tout l’empire allemand ; obtenir de la Bavière qu’elle supprime les couvens, les ordres, les congrégations, est une entreprise qui offre quelques difficultés. M. de Bismarck a peut-être été curieux de savoir comment on accueillerait à Munich la perspective d’une nouvelle guerre entre l’Allemagne et la France. Il désire connaître non-seulement ce qu’il peut attendre de ses amis, mais ce qu’il doit craindre de ses ennemis. Il tient et il tiendra longtemps à savoir où en est la France, quelles sont ses pensées secrètes et le degré de confiance qu’elle a dans ses forces. Depuis 1870, il n’a manqué