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France ne possède plus cette faculté, mais en face du trésor de guerre de Spandau le trésor français ne peut mettre en ligne que des caisses vides. Le crédit du pays est loin d’être épuisé, cela se voit à la bonne tenue du billet de banque et au taux de la rente ; toutefois au début d’une guerre la France ne pourrait contracter un emprunt qu’à l’étranger et dans des conditions très défavorables. Jusqu’aujourd’hui, son crédit était fondé sur ses réserves en métaux précieux et sur les valeurs étrangères qu’elle possédait, c’est-à-dire sur sa fortune. Dorénavant son crédit reposerait seulement sur les espérances que donneraient ses généraux, et c’est emprunter dans de mauvaises conditions que d’emprunter sur des espérances. » comme l’économiste que nous venons de citer, les Allemands qui connaissent les Français les tiennent non-seulement pour l’un des peuples les plus travailleurs et les plus industrieux de l’Europe, mais pour celui qui entre tous possède le génie de l’épargne. Qui dit épargne dit prévoyance, et cette prévoyance qui caractérise le Français dans la conduite de son ménage, il l’applique aussi au ménage de l’état. Le premier souci de la France est de rétablir l’équilibre dans son budget, et si ceux qui la gouvernent trompaient sa confiance en la précipitant dans quelque aventure, quelle que fût la couleur de leur drapeau, rouge ou blanche, elle verrait en eux les plus dangereux de ses ennemis.

Les Allemands qui raisonnent ont tout sujet de se rassurer sur les intentions de la France ; ils n’ignorent point qu’elle s’est donné la forme de gouvernement qui offre le plus de garanties à la paix de l’Europe. Une république est un gouvernement impersonnel, qui est moins tenu qu’un autre d’avoir de l’amour-propre. Il peut se dispenser de compliquer les conflits d’intérêt par des considérations de fausse dignité, par les excitations d’un orgueil chatouilleux et susceptible ; il est plus capable de se conduire par le seul bon sens, de s’imposer au besoin des renoncemens de vanité, de ne pas sacrifier les avantages d’une politique sage, modeste et pacifique, aux subtilités du point d’honneur. Une république est une raison sociale, et les raisons sociales ne se fâchent pas quand il y va de leur intérêt de ne se point fâcher ; les raisons sociales ne font pas gloire de vider leurs querelles eu champ-clos, elles recourent aux tribunaux, elles plaident et tâchent de gagner leur procès. Les Allemands sont convaincus que, si en 1870 la France avait eu un gouvernement républicain, elle n’aurait pas déclaré la guerre pour une question d’amour-propre ; mais elle possédait alors un gouvernement personnel, où, comme on l’a dit, il n’y avait plus personne. L’injure a été ressentie, et la peur qu’on a eue de l’opinion a conduit aux abîmes. Les Allemands sont persuadés aussi que la France ne saurait rétablir la monarchie sans mettre la paix en danger. L’heureux prétendant qui réussirait à s’asseoir sur le trône aurait besoin de prestige pour s’y