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pousse tant de malheureux vers les grandes villes, où les œuvres de charité abondent, où les secours sont admirablement organisés, mais aussi où l’accumulation de tant d’infortunes présente en temps de crise les plus grands dangers ? Qui ne voit que la sécurité sociale est ici gravement en jeu ? La commune et l’état n’ont-ils pas intérêt à retenir l’indigent dans le village où il est né, où ses bras seront le plus utiles, s’il est valide, où les secours dont il a besoin, s’il est infirme ou malade, lui seront donnés à moins de frais, où sa pauvreté sera moins envieuse, son honnêteté native moins mise à l’épreuve, car c’est surtout dans les grandes villes que l’indigence est mauvaise conseillère ? Et qu’on ne craigne pas de voir s’arrêter les nobles élans de la charité privée le jour où il y aura partout une assistance publique ! Hélas ! la première sera toujours nécessaire, parce que la seconde sera toujours insuffisante : il y aura place pour toutes deux au foyer du pauvre. Loin de se nuire l’une à l’autre, elles se fortifieront mutuellement, car l’expérience de chaque jour démontre que l’existence d’un bureau de bienfaisance dans une localité est une institution féconde, propre à faire naître l’aumône aussi bien qu’à la distribuer. D’ailleurs qu’on y prenne garde ! Certes il est bon de donner carrière à la charité, car c’est une des vertus les plus touchantes de la morale chrétienne ; mais, outre qu’il n’est pas prudent de tout en attendre, il n’est pas juste de tout lui demander. L’équité, ce besoin impérieux de l’âme humaine, trop souvent froissée dans la vie réelle, mais toujours admise largement dans nos institutions, exige que chacun contribue dans une certaine mesure à une œuvre d’intérêt social bien entendu.

Nous dirons donc sans hésiter qu’il y a, qu’il doit y avoir une bienfaisance publique, que, si le pauvre n’a pas de droit à l’assistance, la société a le devoir de l’assister, de se créer des ressources pour cet objet, et de les demander même à l’impôt, si l’initiative individuelle est impuissante à les lui fournir. Le rouage chargé de faire fonctionner l’assistance publique des indigens sera, tout le monde l’admet, le bureau de bienfaisance. On ne saurait trouver meilleur et plus simple intermédiaire entre la main qui donne et la main qui reçoit. C’est lui qui provoquera les dons des particuliers, les subventions de la commune, du département ou de l’état, qui gérera le patrimoine des pauvres avec une sévère économie et s’efforcera d’en faire un judicieux emploi. La comptabilité des bureaux est tenue par le percepteur, fonctionnaire public, ou par un receveur spécial quand le bureau est riche. Tous deux sont justiciables des conseils de préfecture ou de la cour des comptes. Il y a dans ce fonctionnement toutes les garanties désirables.