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qui suffisent souvent dans les petites communes aux exigences du paupérisme local. — Nous voudrions partager cette manière de voir, mais nous la croyons empreinte d’optimisme. Nous pensons que, malgré l’augmentation des salaires, les conditions de la vie ne sont pas devenues beaucoup plus faciles pour le prolétariat agricole, que, si l’effet des disettes a été très heureusement conjuré par nos nouvelles lois économiques, il n’en est pas de même des chômages et des crises industrielles, qui sont plus intenses qu’autrefois. À ce titre, le ralentissement qu’on observe dans le mouvement des bureaux de bienfaisance nous paraît un symptôme fâcheux, dont la principale cause réside dans l’inertie des populations rurales et la difficulté d’y faire vivre une institution de cette nature sans la puissante intervention de l’état.


II

Convient-il d’augmenter le nombre actuel des bureaux de bienfaisance et de les répandre le plus possible dans les campagnes ? Cette question, posée dans l’enquête, ne pouvait manquer de faire revivre une controverse déjà ancienne entre les partisans et les adversaires de la charité légale. — Disons tout de suite que les derniers n’ont présenté qu’une infime minorité ; mais ils avaient assez d’argumens spécieux à leur service pour donner à leur thèse cette apparence trompeuse que revêt parfois l’erreur, et qui la rend si difficile à distinguer de la vérité.

Prenez garde, ont-ils dit, en créant partout l’assistance publique, vous allez créer le droit à l’assistance. La charité légale engendre le pauvre légal. Le nombre et l’étendue de ces misères que la société est déjà impuissante à soulager ne tarderont guère à s’accroître lorsque vous aurez fait luire aux yeux du pauvre la promesse d’être secouru. Combien compte-t-on de communes rurales où les trois quarts des familles vivent avec la plus grande difficulté, au prix de peines sans nombre et de privations continuelles, mais toutefois sans tendre la main ! Ce labeur opiniâtre, cette lutte perpétuelle de l’homme contre sa destinée, c’est la souffrance pour l’individu sans doute, mais c’est la vigueur pour la nation. Il n’y a de grands peuples que ceux où les classes inférieures s’élèvent par leur énergie et leur travail. Croit-on qu’il soit indifférent que l’homme conquière son pain de chaque jour ou qu’il le doive à un bureau de bienfaisance ? Les économistes n’enseignent-ils pas qu’il y a dans le premier cas une création, et dans l’autre un simple déplacement de la richesse ? — Si au contraire vous créez partout une bienfaisance publique, si vous ouvrez dans chaque commune un registre pour y inscrire les pauvres,