Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours d’eau souterrain. Ces observations sont parfaitement exactes, mais, si les forêts favorisent l’infiltration des eaux dans le sol, il est clair qu’elles favorisent par cela même la formation des sources, soit que celles-ci jaillissent des couches superficielles dans le voisinage, soit qu’elles sortent des couches profondes à une distance plus ou moins grande de ces forêts.

M. Marié Davy, trop préoccupé peut-être des mouvemens généraux de l’atmosphère, ne paraît attacher aux circonstances locales qu’une influence très secondaire, et conteste absolument que les forêts exercent une autre action que celle de retenir les terres sur les pentes. Les expériences que nous avons citées plus haut prouvent surabondamment que cette action est beaucoup moins restreinte, et les exemples ne manquent pas qui montrent que toutes les contrées où les forêts ont disparu se sont desséchées et stérilisées. Sans citer encore celui de l’Asie-Mineure, autrefois fertile, aujourd’hui si aride que les récoltes meurent sur pied et que des milliers d’êtres humains périssent par le fait de la sécheresse, nous nous en tiendrons à des faits plus voisins de nous et plus faciles à vérifier. Dans la Montagne-Noire (Aude), M. Jules Maistre[1] a fait des expériences dans deux vallées différentes, l’une boisée, l’autre déboisée, et a constaté que, si la première donne, immédiatement après la pluie, moins d’eau que la seconde, par contre celle-ci se dessèche rapidement tandis que la première alimente le ruisseau pendant l’année entière. Il a reconnu que, tandis que dans les régions déboisées les plus fortes pluies tombent pendant l’été, dans les régions boisées elles tombent pendant l’automne et l’hiver, c’est-à-dire pendant la saison où, suivant M. Belgrand, elles contribuent le plus à l’alimentation des cours d’eau. D’après M. Maistre, la sécheresse du pays va s’augmentant avec les déboisemens, car des cours d’eau qui autrefois faisaient marcher des moulins n’ont plus aujourd’hui assez d’eau pour cela. M. Cantégril a fait une observation analogue, mais plus concluante encore. Le ruisseau du Caunan, qui prend sa source dans la forêt de Montaut, dépendant aussi du massif de la Montagne-Noire, faisait autrefois marcher des usines à fouler le drap. A la suite du déboisement de cette forêt, le cours d’eau est devenu si irrégulier que les usines durent chômer pendant une partie de l’année. La commune ayant récemment reboisé sa forêt, le Caunan a repris son régime primitif, et les usines marchent aujourd’hui sans interruption.

Des faits aussi précis ne peuvent donc laisser aucun doute au sujet

  1. De l’Influence des forêts sur le climat et le régime des sources, par M. J. Maistre de Villeneuvette, 1874.