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étaient fermées par des lanières de cuir où était appliqué le sceau impérial. L’entrée du sanctuaire demeure ainsi scellée, en sorte que dans leur église les vieux-croyans n’ont point d’autel. « Nous ne pouvons plus célébrer la messe, nous dirent-ils, il faut nous contenter des offices qui se peuvent réciter sans prêtre. Nous avons notre clergé, mais il nous est défendu de nous en servir ici ; on veut nous imposer des prêtres nommés par le synode de Pétersbourg, et nous refusons leur ministère. » Ainsi dans leur métropole les popovtsy en sont réduits à un office sans sacerdoce, comme leurs adversaires les bezpopovtsy.

Les popovtsy ont un clergé, et ce clergé n’est plus emprunté à l’église orthodoxe, il n’est plus composé de popes transfuges ou dégradés. La popovstchine a ses évêques, elle a sa hiérarchie indépendante, et par une combinaison hardie la tête de cette hiérarchie a été placée à l’étranger hors de la portée de la puissance russe. C’est là sans doute une des raisons pour lesquelles l’autel de Rogojski est scellé et la cathédrale du schisme interdite aux prêtres schismatiques. Au temps même où ses murailles les couvraient le mieux de leur ombre, le cimetière moscovite laissait les starovères à la discrétion de l’état, les laissait surtout sous la dépendance de l’église, à laquelle ils étaient obligés de dérober leurs prêtres. Pour échapper à cette dépendance, à la fois humiliante et dispendieuse, il fallait aux vieux-croyans une hiérarchie, un épiscopat. Toutes leurs tentatives pour s’en procurer demeurèrent longtemps infructueuses. Un historien orthodoxe assure que, dans le désespoir de découvrir une main vivante pour leur consacrer des évêques, certains vieux-croyans proposèrent d’avoir recours à la main d’un mort[1]. Le projet n’eut point de suite. « Quand sa main serait placée sur la tête du candidat à l’épiscopat, la bouche de l’évêque défunt demeurerait muette, firent observer les plus timides, et qui de nous a le droit de prononcer la prière épiscopale pendant l’imposition des mains ? » Plusieurs fois des communautés schismatiques en quête d’un prélat avaient été dupes de hardis imposteurs. La manière dont après deux siècles d’attente les popovtsy ont retrouvé une hiérarchie ecclésiastique est un des épisodes les moins connus et les plus curieux de l’histoire du XIXe siècle.

C’est à l’aide d’alliés sur lesquels ils ne comptaient point, alliés dont la plupart d’entre eux eussent désavoué le concours, que les dissidens sont parvenus à réaliser leur long rêve de hiérarchie indépendante. Les vieux Moscovites, les hommes les plus nationaux et les plus conservateurs de l’ancienne Russie, ont rencontré pour auxiliaires les promoteurs de la révolution cosmopolite et les

  1. Mgr Philarète de Tchernigof, Istoria Rousskoï tserkvy, Ve époque, § 31.