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tantôt au nom d’un principe et tantôt au nom d’un autre, ici dans un intérêt social, là dans un intérêt religieux.

À cette cause de confusion et de contradiction dans l’attitude du gouvernement russe vis-à-vis des dissidens, s’en ajoute une autre non moins importante, le manque d’une législation fixe et invariable, ou, pour parler avec plus d’exactitude, le manque de concordance entre les lois permanentes et les instructions chargées de déterminer l’application des lois. Jusqu’à ces derniers temps, la conduite de l’administration envers les sectaires a été simultanément soumise à une double règle, à une législation publique inscrite dans le code de l’empire et à des prescriptions administratives secrètes, changeantes, souvent en désaccord avec les premières. De là contradiction et incohérence dans les ordres donnés, arbitraire et vénalité dans l’application des ordres reçus. Sous l’empereur Nicolas, c’était un comité secret qui, à l’aide de secrètes ordonnances, dirigeait les affaires du raskol. Les raskolniks de toute opinion, privés de la connaissance même des règlemens qui régissaient leur sort, étaient livrés sans défense à la cupidité de la basse administration et du bas clergé. Les tchinovniks (les employés) allaient parfois jusqu’à amener les dissidens à se racheter pécuniairement de pénalités imaginaires[1].

Un tel état de choses ne pouvait persister au milieu des réformes libérales qui de tous côtés ont marqué le règne d’Alexandre II. La question du raskol est une de celles qui occupèrent la sollicitude de l’empereur actuel dès son avènement, et qui depuis sont restées à l’ordre du jour. Dès le mois d’octobre 1858 paraissaient une circulaire et un règlement provisoire qui régit encore la matière. Suivant pour cette affaire la même voie que pour les plus graves, la même voie que pour l’émancipation, la réforme judiciaire ou la réforme militaire, l’empereur nommait vers le même temps une commission dont les longs travaux, non encore terminés, promettent de n’être pas infructueux. Nous n’exposerons pas la législation qu’il s’agit de réformer, ce serait faire tort au gouvernement qui est en train de la corriger. Il est inutile de mentionner toutes les restrictions imposées à la liberté ou au culte des dissidens, des plus inoffensifs comme des plus redoutables : l’accès des charges communales interdit aux paysans, et les privilèges de leur guilde enlevés aux marchands, les raskolniks dépouillés du droit de déposer en justice contre les orthodoxes, et privés de la faculté de sortir des frontières de l’empire, la construction de nouveaux oratoires prohibée et la réparation des anciens interdite, si ce n’est

  1. Voyez Schedo Ferroti, le Schisme et la tolérance religieuse, chap. XI, XII et XIV.