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mois à peine qu’en Angleterre on a dû expulser de leur retraite, comme débiteurs insolvables, les shakers de New-Forest dirigés par une certaine mistress Girling, dont les visions servaient à la communauté de règle de foi.

C’est un spectacle monotone dans sa diversité même que l’infatigable génération des sectes et l’incessante reproduction des illusions et des extravagances d’un aveugle prophétisme. Toutes ces obscures doctrines, ne pouvant se fixer par l’enseignement et la publicité, gardent quelque chose d’incohérent, d’indéterminé, qui les expose à de perpétuelles variations. Les sectes russes sont comme des collines ou des dunes de sable sans consistance, auxquelles les vents de la mer ou du désert font sans cesse changer de forme. Ces confuses hérésies ne sont parfois que le contrecoup des aspirations ou des influences du moment, et par là elles peuvent avoir un intérêt supérieur à leur intérêt religieux. Chaque grand événement national, chaque événement qui touche à la vie du peuple peut ainsi donner naissance à une secte nouvelle, qui à son heure est comme la formule des besoins ou des préoccupations populaires.

C’est ainsi que par certaines de ces conditions accessoires l’émancipation du servage, qui, en retirant au peuple son principal grief, devait porter un grand coup à l’esprit de secte, a passagèrement enfanté quelques sectes nouvelles. Le mécontentement produit chez le paysan par les conditions du rachat des terres a, dans quelques contrées, pris une forme religieuse. Dans le gouvernement de Perm en particulier, un artisan du nom de Pouchkine avait en 1866 fondé une secte dont le principal dogme était que les anciens serfs ne devaient rien payer à leurs anciens seigneurs pour les terres qui leur étaient abandonnées. « La terre est à Dieu, disait ce rustique prophète, et Dieu veut que tous ses enfans en jouissent librement et sans redevance, » Ailleurs, au lieu de la gratuité des concessions territoriales, c’est le partage égal des terres sans distinction des biens de l’ancien seigneur et des biens de la commune rurale que prêchent les nouveaux apôtres. En d’autres momens, ce sont les impôts ou les corvées dont le paysan refuse de s’acquitter au nom d’une prétendue révélation, mettant ainsi en avant la religion et le ciel là où nos révolutionnaires se retrancheraient derrière la raison ou le droit naturel. Cette forme de résistance aux taxes s’est plusieurs fois reproduite au nord et au sud de l’empire, donnant lieu à de singulières explications, à de singuliers débats. « Pourquoi ne payez-vous pas l’impôt ? demandait le représentant du gouvernement à des paysans d’une des provinces du Don. — Parce que la fin du monde est arrivée. — Qui vous a fait cette histoire ? — C’est