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conscience religieuse contre le formalisme du vieux-croyant ou le formalisme orthodoxe. L’excès du ritualisme dans le raskol ou dans l’église mène à la négation du rituel, les disputes sur les cérémonies conduisent au rejet du cérémonial, devenu un principe de discussions et de sectes. « Les raskolniks, disait un de ces contempteurs de la forme, vont au billot pour le signe de croix à deux doigts ; pour nous, nous ne nous signons ni avec deux ni avec trois doigts, mais nous cherchons à mieux connaître Dieu. » Comme la gauche du raskol, comme la bezpopovstchine, le doukhobortse et le molokane ne reconnaissent point de sacerdoce, mais ce n’est plus parce que l’église a perdu le pouvoir sacerdotal, c’est parce que dans la véritable église il n’est pas besoin de clergé. Ce que les bezpopovtsy déplorent comme un accident, une privation anormale, les chrétiens spirituels l’érigent en théorie, en droit. Il n’y a pas d’autre pontife, pas d’autre évêque, pas d’autre maître de la foi que le Christ, disent les molokanes[1]. Les hommes qu’ils choisissent pour présider à leurs réunions et leur lire l’Écriture n’ont aucun caractère sacerdotal, aucun pouvoir sur la communauté, aucun costume particulier dans l’exercice même de leurs fonctions.

Dieu est esprit et veut être adoré en esprit et en vérité, telle est la maxime fondamentale de ces chrétiens spirituels, et cette maxime, ils l’appliquent avec la rigueur et la logique du paysan russe. Dans le raskol, les sans-prêtres, comme les popovtsy, ont gardé les formes extérieures de la prière russe avec ses signes de croix répétés, avec ses poklony, inclinations de corps et prosternations. Dieu est esprit, dit le rigide molokane, et c’est en esprit que le chrétien s’incline et se prosterne devant lui. Les bezpopovtsy comme les popovtsy ont généralement conservé le culte des images ; s’il est repoussé de quelques sectes extrêmes, des nieurs nietovstchiki par exemple, c’est qu’aux yeux de ces fanatiques il n’y a plus rien de saint depuis que l’église russe est tombée dans l’erreur. Dieu est esprit, reprend le molokane, et toute image n’est qu’une idole. Aux exportateurs officiels qui leur présentaient l’image du Christ, les paysans doukhobortses de la Nouvelle-Russie répondaient : « Ce n’est pas là le sauveur, ce n’est qu’une planche peinte. Nous croyons au Christ, non à un Christ de cuivre, d’or ou d’argent, à un Christ forgé ou fondu de main d’homme, mais au Christ de Dieu, sauveur du monde. » Rien de plus simple que le culte de l’une ou l’autre secte. Les molokanes n’ont ni église ni chapelles ; Dieu selon eux n’a d’autre temple que le cœur de l’homme. Pour lui rendre

  1. Veroïspovedanié Doukhovnykh Khristian obyknovenno nazyvaemyk Molokanami, Genève 1865, p. 99-102.