Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un métier dont l’ordination ecclésiastique lui a conféré le monopole. Loin d’avoir aucune influence sur leur troupeau, les popes du raskol restent entièrement dans la dépendance des communautés qui les stipendient, qui les élisent et les déposent à leur gré. Ce sont des aumôniers ou des chapelains à la merci et à la dévotion des riches marchands qui les entretiennent. Chez les popovtsy comme chez les sans-prêtres, l’autorité, la direction appartient aux laïques : le sacerdoce, chez les sectes mêmes qui en proclament la nécessité, a beaucoup perdu de son autorité ; quelques vieux-croyans recevaient même comme prêtres de simples diacres ou parfois acclamaient comme ministres les premiers venus. Chez tous, c’est entre des mains laïques, entre les mains des anciens de la communauté qu’est le gouvernement de la secte, et à cet égard les deux branches du schisme ont présenté une grande ressemblance au moins jusqu’à l’époque récente où les popovtsy ont, avec un épiscopat, retrouvé un sacerdoce indépendant.

Chez les deux branches du schisme, les premiers centres religieux furent des skites ou ermitages, des couvens ou communautés qui groupaient autour d’eux un certain nombre d’adhérens et communiquaient avec les sociétés affiliées des différentes provinces. Ces communautés, d’ordinaire reléguées aux extrémités de l’empire ou sur un territoire étranger, pouvaient difficilement servir de métropole permanente aux différens rameaux du raskol. Il se produisait souvent parmi elles des divisions, des rivalités, qui séparaient les vieux-croyans de rite voisin en groupes divers. Cette situation changea à la fin du XVIIIe siècle, et, chose à noter, elle changea pour les deux branches du schisme en même temps. Les vieux-croyans des deux rites trouvèrent tout à coup l’occasion de se créer un centre au cœur même de l’empire, à Moscou, et un centre pour ainsi dire légal, accepté sinon reconnu du gouvernement. C’est à la faveur d’une calamité publique, de la grande peste de Moscou sous Catherine II, qu’eut lieu cette heureuse révolution dans la position des sectaires. Les malheurs publics, en rejetant violemment le peuple vers la religion et les vieilles croyances, sont souvent favorables aux raskolniks. On l’a remarqué lors du choléra au XIXe siècle, comme lors de la peste au XVIIIe. Dans son impuissance contre le fléau, qui désolait la seconde capitale de l’empire, l’administration impériale avait fait appel à tous les dévoûmens. Les raskolniks, qui de tout temps se sont distingués par leur esprit d’initiative, offrirent d’établir à leurs frais un cimetière et un hôpital pour leurs coreligionnaires. L’autorisation leur en fut accordée en 1774, et presque la même année les bezpopovtsy, à Préobrajenski, les popovtsy, à Rogojski, fondèrent les deux établissemens qui depuis sont restés les foyers religieux du raskol. Sous le voile