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d’homme, s’enfuit de la maison paternelle, passa à l’étranger et s’y maria. Au bout d’une quinzaine d’années, il crut pouvoir, pour ses affaires, revenir dans sa patrie ; il y fut reconnu par son père et disparut à jamais.

Soit pour perpétuer leur doctrine avec leur race, soit pour se mieux dissimuler et se donner en même temps les avantages de la vie conjugale, les skoptsy se marient souvent, et souvent ces ménages inféconds ou d’une stérilité prématurée semblent heureux, comme si ces froides unions étaient d’autant plus paisibles que la passion y a moins de part. Mariés ou non, ayant ou non des héritiers de leur sang, les skoptsy ne suffisent point à la reproduction régulière de leur secte. Il leur faut chercher des prosélytes, et pour s’en procurer ils n’épargnent ni fatigue, ni ruse, ni argent. Tantôt ce sont de pauvres gens, des soldats surtout, qu’ils séduisent par des offres brillantes ; tantôt ce sont des enfans qu’ils adoptent et élèvent dans leurs principes. Les sacrifices que s’imposent à cet égard les blanches-colombes s’expliquent par leurs doctrines. Comme la plupart des sectaires russes, les skoptsy sont millénaires, ils attendent la fin prochaine de l’ordre actuel de la société. Ils ont un messie qui doit aussi établir son règne en Russie et donner l’empire de la terre aux saints, aux skoptsy ; or, selon les paroles de l’Apocalypse, pour les skoptsy ; comme pour la plupart des sectes de ce genre, ce messie ne doit paraître que lorsque le nombre des saints sera complet[1]. Pour que le nouveau et dernier Christ vienne leur assurer l’empire, il faut que les blanches-colombes soient au nombre de 144,000 ; aussi tous leurs efforts tendent-ils à atteindre le chiffre fixé.

Les dogmes et l’histoire des skoptsy commencent à être connus. On sait à quelle époque ils ont formé en Russie une secte déterminée et des communautés organisées ; on sait moins bien quelle peut être leur lointaine et obscure filiation avec les religions ou les sectes de l’Orient. Peut-être des idées et des traditions de ce genre se sont-elles sourdement perpétuées à travers certaines couches de la population. Toujours est-il que c’est à une époque peu reculée que les skoptsy se sont montrés en Russie comme secte distincte, à une époque plus récente encore que les khlysty. Cette hérésie, qui de toutes semblerait la moins moderne, fit son apparition en plein XVIIIe siècle, vers 1770, l’année de la peste de Moscou, et c’est la nouvelle capitale, la ville européenne des bords de la Neva, qui devint leur centre et leur Jérusalem. Le fondateur ou l’organisateur de la secte, André Selivanof, prêchait sa doctrine à Pétersbourg au temps de Napoléon Ier : il n’est mort qu’en 1832, sous le règne de l’empereur Nicolas. Pour les blanches-colombes, ce Selivanof est

  1. Apocalypse, VI, 10, 11.