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et suivant l’un ou l’autre cas elle porte chez les sectaires les noms de sceau royal (tsarskaia petchat) ou de seconde pureté (vtoraîa tchistota). Les femmes n’échappent pas toujours à l’horrible baptême. Pour elles, la mutilation n’est pas une condition obligatoire de l’admission parmi les blanches-colombes, beaucoup cependant reçoivent aussi les stigmates de la secte et le sceau royal, qui est le signe de l’entrée au nombre des purs. Chez elles, les skoptsy paraissent s’en prendre plus à la faculté de nourrir qu’à la faculté d’engendrer. Le sein nouvellement formé de la jeune fille est défiguré par de cruelles incisions, et sa poitrine soumise à une sorte d’odieux tatouage. Chez quelques femmes, le fer des fanatiques va plus loin et s’attaque à des organes plus intimes, sans que le plus souvent ces opérations, exécutées par des mains inhabiles, rendent réellement les malheureuses qui les subissent incapables d’être mères. De récens procès ont mis en lumière ces outrages à la nature humaine : on a entendu discuter devant les tribunaux les procédés chirurgicaux employés par les sectaires pour ces détestables cérémonies ; on a vu paraître devant les juges de vieilles femmes octogénaires et de jeunes filles de quinze, de dix-sept, de vingt ans, toutes également et diversement déformées par le couteau ou les ciseaux des fanatiques[1]. La plupart de ces jeunes victimes avaient, à la fleur même de l’âge, perdu la fraîcheur de la jeunesse, et, comme celui du skopets, leur visage était prématurément flétri. Quelques-unes déclaraient ne point se souvenir de l’époque où elles avaient été soumises à ce sauvage traitement, et il n’est pas impossible qu’on ait parfois confondu avec les étranges rites des skoptsy de barbares pratiques inspirées à d’ignorans parens par d’autres superstitions.

Il semble au premier abord qu’une pareille religion ne se puisse recruter qu’à l’aide de prosélytes étrangers : il n’en est point entièrement ainsi. Les skoptsy ne condamnent pas tous d’une manière absolue le mariage et la génération. Se considérant comme les élus de Dieu, les dépositaires de la saine doctrine, il en est qui se croient permis de donner la vie à des enfans pour leur transmettre la vraie foi. Souvent ce n’est qu’après la naissance d’un fils que le père passe à l’état de pur esprit. L’enfant grandit alors en sachant à quelle immolation il est destiné. L’homme qui à l’heure venue refuserait de se soumettre au sanglant baptême de la secte est en butte aux poursuites et aux vengeances des sectaires, qui forment dans l’empire une vaste association, dont les membres, comme ceux des sociétés secrètes politiques, se permettent de faire eux-mêmes justice des traîtres et des déserteurs. On entend à ce sujet de lugubres histoires. Un skopets par exemple avait un fils qui, arrivé à l’âge

  1. Voyez par exemple dans le procès Koudrine (1871) les dépositions des médecins et l’interrogatoire des accusés.