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raskolniks, établis jadis sous le sceptre de la Suède ou de la Pologne, sont encore aujourd’hui presque les seuls habitans d’origine grand-rus-sienne. En outre de ces émigrés vieux-croyans rendus à la patrie par la conquête, quelques-uns ont été rappelés par Catherine II et colonisés, avec certaines garanties de tolérance, dans la région du Bas-Volga et la Nouvelle-Russie. De nos jours encore, il reste cependant en dehors de l’empire plusieurs colonies de dissidens. La Prusse en possède une près de Gumbinnen, l’Autriche un groupe de trois ou quatre en Bukovine, la Roumanie en a dans ses deux provinces, la Turquie sur plusieurs points de son territoire en Europe et en Asie-Mineure. Ces colonies, qui mènent au milieu des populations environnantes une vie toute russe, toute moscovite, ont donné au schisme ce qu’il ne pouvait trouver dans la mère-patrie, de libres moyens d’organisation. À cet égard, une simple bourgade de la Bukovine a joué vis-à-vis de la Russie contemporaine un rôle capital et attiré sur ce coin obscur de l’Autriche l’attention des hommes d’état.

Après la période de prédication, de sédition individuelle et indisciplinée, vient pour toute secte, pour toute doctrine nouvelle, la période d’organisation, de constitution en confessions définies, en églises. Sans échapper à ce besoin de toute doctrine religieuse, les sectes du schisme ont généralement gardé quelque chose d’inachevé, d’incohérent ; soit manque de culture des dissidens, soit faute du principe même du schisme, le raskol n’a pu produire des confessions déterminées, des églises telles qu’il en est sorti du protestantisme. Chez la plupart des sectes de Russie se montre une singulière faculté d’organisation pratique, d’association matérielle, jointe à une remarquable difficulté d’arrêter des doctrines, de formuler une théologie. La théologie est peut-être ce qui fait le plus défaut dans la plupart de ces sectes religieuses. Chez elles se retrouve au contraire ce qui frappe, dans la commune rurale comme dans l’artel des villes, l’esprit d’association et de self-government discipliné à l’aide de chefs élus et obéis. Les maîtres des principales communautés du schisme, les Denissof, les Kovyline, n’ont pas été des théologiens, des hommes de science ou de controverse ; c’étaient pour la plupart des hommes d’action, d’habiles organisateurs, on pourrait dire d’habiles hommes d’affaires. Aux rêveurs et aux fanatiques uniquement occupés de la prédication de doctrines bizarres succédèrent des hommes pratiques, qui donnèrent au schisme l’assiette et la consistance matérielle qu’il n’eût pu tenir de ses croyances.

Les sectes du raskol sont nombreuses ; un évêque du XVIIIe siècle, Dmitri de Rostof, en comptait déjà deux cents. Beaucoup ont disparu, beaucoup sont nées depuis. Devant cet incessant