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d’autres péripéties, et souvent présenté, du jour au lendemain, le spectacle d’un silence de mort succédant à la plus turbulente agitation.

La variété fait le charme de tout voyage. Voici, comme opposition au précédent tableau, le lac des Moustiques aux eaux bleues, Copper-Harbor avec sa double baie, dont celle de Fanny-Hoe est tout entourée d’arbres ; voici le fort Wilkins avec ses casernes et ses palissades, abandonné depuis longtemps, et les deux phares aux tours blanches, sur lesquelles viennent prendre leur relèvement les steamers et les voiliers qui entrent dans le « port du cuivre. » Là est la grande mine de Clark, où je retrouve deux Français, l’un propriétaire, l’autre directeur de cette exploitation. Bientôt un élève de l’École des mines de Paris, qui a eu l’heureuse idée de faire son voyage d’instruction au-delà des mers, vient nous rejoindre, et nous buvons ensemble à la France : trois mille cinq cents lieues nous en séparent. De la maison où nous sommes logés, nous dominons le lac, dont la vue à cette hauteur encadre admirablement le paysage. Un vieux sachem, un Chippeway converti, Baptiste, qui erre par ces parages, veut bien consentir à alimenter notre table. De chef de tribu, il s’est fait marchand de poisson, et nous vend des truites saumonées et du white fish, qu’il pèse gravement à la romaine. Les mauvaises langues disent qu’elle est à faux poids. Le capitaine de la mine, l’Irlandais O’Connor, qui prétend descendre des rois d’Irlande, nous pilote dans les travaux. Il avait, comme tous ses compatriotes, la mauvaise habitude de s’enivrer. Un jour, il a fait le serment de ne plus boire que de l’eau pendant quatorze ans, et il l’a tenu ; il vient de le renouveler pour quatre ans. Son fils, qui n’a rien juré, est toujours ivre.

La mine de Clark appartient à MM. Estivant, qui ont fait faire en France tant de progrès à la métallurgie du cuivre, et dont la belle usine de Givet dans les Ardennes est connue. On a plaisir de retrouver de tels hommes à l’étranger, et il serait bon que l’énergie et les capitaux de nos industriels vinssent plus souvent se montrer à l’œuvre au dehors : notre pays ne peut qu’y gagner. La mine de Clark est citée parmi celles qui ont été exploitées au Lac-Supérieur avec le plus de patience et d’esprit de suite. Les magnifiques installations qu’on vient d’y achever ne sauraient être passées sous silence. Les Américains, qui ont l’habitude d’aller plus vite et plus brutalement, ne songent pas toujours à assurer ainsi l’avenir. Enfin il y a je ne sais quoi d’attachant dans ce village d’ouvriers aux maisons de bois çà et là éparses, dans cette école, dans cette chapelle, perdus au fond de ces solitudes, et où l’on entend parler couramment notre langue. La plupart des bûcherons, des charpentiers et des terrassiers, occupés en grand nombre, sont Canadiens, et se