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sorte de cercle plus épais vers le nord, l’est et le sud, plus étroit et presque ouvert vers l’ouest, vers les provinces de récente acquisition. Du cœur de l’ancienne Moscovie, on voit le raskol russe se rattacher à l’Europe par de longs fils, de minces traînées qui le relient d’un côté à la Baltique, d’un autre à la Prusse, d’un autre à l’Autriche. À l’aspect d’une telle carte, on pourrait croire que le raskol a ses racines en Europe ; il n’en est rien. Au lieu d’être des racines, ces longues branches qui pénètrent en Occident ne sont que des rejetons émis de la souche moscovite du raskol. Dans le premier siècle du schisme, un grand nombre de dissidens ont été chercher la paix à l’étranger, sur le territoire de la Suède et de la Pologne, de la Prusse et de l’Autriche. Sur différens points, ces colonies de starovères ont persisté sans se fondre avec les populations voisines, et les sectaires du dedans sont restés en relation avec ceux du dehors. De là ces lignes plus ou moins continues qui sur la carte rattachent le schisme moscovite à l’Europe centrale ; elles indiquent les différentes étapes de l’émigration des schismatiques, elles marquent les routes ordinaires des émissaires du raskol entre ces colonies de l’étranger et les centres dissidens de la Grande-Russie, et par suite les points de repère des vieux-croyans et les voies où s’exerce leur propagande.

Le schisme se montre ici sous un nouvel aspect, comme agent d’émigration, agent de colonisation ; à ce point de vue encore, le rôle des raskolniks, des vieux-croyans russes, n’a pas été sans analogie avec le rôle des non-conformistes, des puritains anglais. S’ils ne pouvaient, comme les puritains, traverser les mers pour y jeter les bases d’un empire tout entier à leur image, les starovères avaient, dans les limites mêmes de leur patrie, un champ indéfini d’émigration. En cherchant dans les solitudes de la forêt ou de la steppe un abri contre les vexations du pouvoir central, les dissidens ont notablement concouru à répandre la nationalité russe dans des régions naguère exclusivement asiatiques. Tantôt comme émigrés volontaires, tantôt comme déportés par l’autorité, ils se sont établis dans les provinces les plus reculées de la Russie, à l’est de l’Oural et au sud du Caucase, au milieu des catholiques de la Pologne et des protestans des provinces baltiques, comme parmi les musulmans de l’Orient. Les colonies du schisme à l’étranger lui ont servi de villes de refuge et comme de places de sûreté. C’est sur le territoire de l’ancienne Pologne, à Vetka, dans la province de Moghilef, que fut longtemps le principal foyer de la popovstchine, et, pour détruire ce repaire du raskol, les troupes d’Anne Ivanovna et de Catherine II violèrent par deux fois la frontière polonaise (1735 et 1764). Dans les provinces baltiques et dans la Lithuanie, dans toute cette vaste zone de provinces annexées au XVIIIe siècle, les