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masses d’eau. Ils avaient même, dans les longues veillées sous la hutte en branchages, entendu les guerriers chippeways leur parler des merveilles du Messepi, le « père des fleuves, » sur les bords duquel habitaient les Dakotas ou Sioux, ces éternels ennemis de la vieille nation algonquine, dont les Chippeways faisaient partie. Quelques-uns s’étaient mariés avec des Indiennes, car les femmes blanches étaient plus que rares en ces temps-là, et leurs fils, auxquels on donnait le nom de « bois brûlés » à cause de la couleur de leur peau, les secondaient dans leurs aventures. A travers la forêt vierge, le « voyageur » suivait le sentier des sauvages ou s’aidait de la hache et de la boussole pour marquer son chemin. Partout où il y avait un lac, un cours d’eau, il usait de la pirogue indigène, faite d’écorce de bouleau, et quand, pour une cause quelconque, la navigation n’était plus possible, il emportait la frêle embarcation sur son dos jusqu’au lieu où il pouvait de nouveau l’immerger et s’y jeter sans trop de risques. L’espace ainsi parcouru à pied se nommait un portage. Des Indiens, appartenant à des tribus qui furent toujours alliées de la France, celles des Hurons, des Montagnais, des Ottawas, des Chippeways, escortaient les trappeurs dans ces expéditions comme éclaireurs et comme guides, les aidaient dans la chasse des animaux à fourrure, ramaient et portaient la pirogue. Ignorant l’usage de la monnaie métallique, ils recevaient pour prix de leurs services une vieille arquebuse, une bouteille d’eau-de-vie, une hache, qui leur servait d’outil dans la forêt et de tomahawk, d’arme défensive dans le combat, ou encore un chaudron de cuivre qu’ils suspendaient triomphalement au-dessus du foyer du wigwam.

Dans cette marche au milieu de régions si nouvelles, le lac Ontario fut le premier que découvrirent les pionniers de la Nouvelle-France. Après vint le lac Huron, sur les bords duquel l’énergique explorateur Champlain, qui venait de fonder Québec, arriva en 1615. Les terribles Iroquois, groupés en une confédération puissante qui comprenait alors cinq nations et devait plus tard en renfermer six, défendaient inexorablement l’approche des chutes du Niagara et du lac Erié. Néanmoins les Français se plaisaient à croire qu’une communication devait exister entre ceux des lacs qu’ils connaissaient déjà et le Pacifique, et cherchaient de ce côté la route vers la Chine et le Japon, vers l’empire de Cathay. Il s’agissait de trouver le fameux passage de l’ouest, dont on n’a abandonné la poursuite que de nos jours, alors que l’infortuné capitaine Franklin ou plutôt ses hardis successeurs ont découvert enfin tout à fait au nord la communication tant cherchée, mais démontré en même temps qu’elle était sans profit pour le commerce.

La colonisation des Français au Canada, à la fois commerciale, militaire et religieuse, était faite par des traitans, des soldats et des