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leurs yeux. Ils eurent le tort de croire qu’avec cela seul on sauve un pays. C’étaient des fanatiques, et les deux premiers n’avaient pas l’élan qui souvent transforme les fanatiques en héros. Le meilleur fut Charles-Edouard. Si une éducation vigoureuse avait développé son caractère et son esprit, s’il avait été homme avant de se sentir prince, ses qualités remarquables pouvaient l’amener au but vers lequel tendait sa foi ; mais, ce but atteint, il nous parait impossible qu’il eût conservé le pouvoir. Ses partisans seraient devenus ses fléaux. Sa foi l’isolait au milieu de sa nation. Il est bien remarquable que l’Irlande catholique ne fît aucun effort en sa faveur. L’Ecosse, séparée du reste du pays par l’organisation de ses clans, par l’absence de routes et de communications, lui conserva seule une fidélité traditionnelle. Entre l’Angleterre et lui il y avait la mort de Charles Ier. Les nations pardonnent rarement les crimes qu’elles ont commis. C’est un vice de l’humanité de ne pas aimer à se rappeler ceux auxquels on a infligé un mal irréparable.

En général, la politique est égoïste ; elle s’éloigne presque toujours de ceux qui succombent, elle veut les croire coupables et seuls coupables. Rarement ils le sont seuls. Si nous nous sentons disposés à condamner ceux qui, pour des motifs personnels, ne craignent pas d’infliger à leur patrie le pire des fléaux, celui de la guerre civile, nous devons nous dire que les hommes comme les choses ont plusieurs faces. Ce que l’on blâme, ce que l’on repousse à certains égards peut à d’autres égards être profondément respectable et respecté. Il y a au fond de cet univers un mystère qu’en vain l’homme cherche à pénétrer. Il n’est donné à qui que ce soit d’arrêter l’esprit humain dans son mouvement. Tôt ou tard la lumière se fait, elle pénètre à travers les préjugés les plus épais, et un jour arrive où l’état de l’intelligence a changé par une lente et secrète action des lois de l’intelligence même.

Voilà pourquoi l’Angleterre fit bien de ne pas s’attacher uniquement à un dogme de légitimité absolue, supposant implicitement que le monde est immuable, que ce qui a été bon à tel ou tel siècle est encore bon de nos jours. La fortune fut pour l’Angleterre libérale et parlementaire, car elle avait raison. Ce qui semblait devoir la perdre fut pour elle une chance heureuse. La liberté charme les Anglais comme la gloire charme la France. Ce fut un coup de maître d’avoir su accepter au nom de la liberté et à cause de la liberté une dynastie étrangère dont le mérite était pour le moins contestable, qu’on sut rendre nationale, et qui dans la suite porta le pays qui l’avait adoptée à un degré inouï de puissance et de grandeur.