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princesse, irritait l’humeur chagrine de Charles-Edouard. Les bruyantes querelles du mari brutal et de l’épouse infidèle défrayèrent la malignité du public. Poussée à bout, la princesse s’adressa à son beau-frère le cardinal, qui lui donna raison pour se venger de son frère. Il lui procura les moyens de se sauver. Ce scandale public acheva de briser Charles-Edouard. Sombre, aigri, maladif, il s’enfonça dans la retraite, n’admettant près de lui que sa fille naturelle, miss Walsingham, qu’il créait duchesse d’Albany.

Malgré tous ses malheurs, il ne perdit jamais l’espérance d’une restauration. Les prophéties de Nostradamus étaient sa constante étude : il y cherchait l’énigme de cet avenir qu’il rêvait toujours et qu’il ne savait pas créer. Sous son lit, une cassette contenant 12,000 sequins d’or devait lui fournir le moyen de partir à toute heure, au premier signal. Cette intelligence affaissée avait encore des réveils lumineux lorsqu’on lui rappelait son expédition d’Ecosse. Il savait alors s’exprimer avec la clarté et l’éloquence de sa jeunesse ; mais l’effort de ces souvenirs évoqués provoquait ensuite des crises de sanglots, une espèce de délire. Un jour qu’il se trouvait en proie à l’une de ces crises, sa fille accourut. « Ah ! dit-elle à la personne qui se trouvait près de lui, il vous a parlé de l’Ecosse. Ces souvenirs lui donnent son accès. » Elle y était habituée.

Trois ans avant sa mort, le désir de sa fille le ramena à Rome. Sa santé déclinait, et son intelligence devenait obscure. Rien de plus sombre que cette fin. Une atteinte de paralysie le saisit au mois de décembre 1787, et il expira le 30 janvier 1788, jour anniversaire de la mort de Charles Ier, un siècle après la révolution qui avait irrévocablement exilé sa famille. Son frère le cardinal vécut obscurément jusqu’au commencement de ce siècle. C’est dans la basilique de Saint-Pierre à Rome que se trouvent les tombeaux des deux frères. Sur leur cercueil est écrit : « Charles III, Henry IX, rois de Grande-Bretagne et d’Irlande. »

Par la révolte étouffée, par la victoire et la pacification, la famille de Hanovre s’établit définitivement en Angleterre. Sûre du présent, elle fonda l’avenir et passa du terrain du fait dans la sphère plus élevée du droit. Ce passage, en général plein de périls pour les gouvernemens nouveaux, s’accomplit facilement, et si George II avait su allier la clémence au succès, rien ne manquait à son triomphe. Il représentait la liberté politique et la liberté de conscience. La légitimité des Stuarts n’était qu’une fleur morte qui ne pouvait se transformer en fruit.

Les trois Stuarts, Jacques II, le prétendant son fils et le prince Charles-Edouard, crurent avant tout à leur droit. En douter leur paraissait un crime, admettre des concessions était une faiblesse à