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étrange assemblée, il n’eut pas un moment de trouble. « Messieurs, leur dit-il, disposez de moi ; ma vie est entre vos mains. Je ne vous demande qu’une seule promesse. Si vous réussissez, la famille actuellement régnante en Angleterre doit vous être sacrée ; qu’elle soit renvoyée en Allemagne, sans qu’on lui fasse aucun mal. » Paroles vraiment nobles, mais que ne soutenait pas une nature suffisamment forte, livrée qu’elle était à des mouvemens incohérens de caprice, de violence et d’obstination !

Toujours errant, il se dérobait à ses amis les plus fidèles. Il était pauvre et craignait de montrer sa misère. Ses meilleurs jours se passaient chez le duc de Bouillon, dans un château des Ardennes, où il chassait le loup et le sanglier. Ces exercices violens parvenaient seuls à le distraire. Il n’avait presque pas de relations avec son père ni avec son frère le cardinal.

Pendant les misères de sa campagne d’hiver en Écosse, il avait pris goût aux liqueurs fortes. Ce goût devint une habitude funeste. Enfin sa liaison avec miss Walsingham mit le comble à ses malheurs. Il avait fait la connaissance de cette méchante femme en Écosse. Elle le suivit, s’attacha à ses pas, acquit sur lui une influence déplorable. La cour d’Angleterre la prit à sa solde, et en fit son espion. Les amis du prince en acquirent la preuve, la lui fournirent en le conjurant de chasser la misérable. Il examina froidement les pièces, ne montra aucune émotion, lui, si violent par momens, et se contenta de déclarer qu’il n’était pas amoureux de miss Walsingham, mais qu’il n’accordait à personne au monde le droit de contrôle sur les actes de sa vie privée. L’ami fidèle qui s’était chargé de la tâche ingrate de lui ouvrir les yeux s’écria dans un transport de douleur : « Qu’a fait votre malheureuse famille pour attirer sur elle la vengeance du ciel à tous les âges et sur chacun de ses membres ? »

A la mort de son père, le pauvre prétendant retourna en Italie ; les deux frères se revirent pour se disputer les lambeaux d’un triste héritage. Le brillant Charles-Edouard, qui partait plein d’espérances en 1744, n’existait plus. Son humeur était devenue sombre et farouche ; il se montrait défiant, entêté jusqu’à la démence. Cependant à cinquante-deux ans il se décida à se marier, et il épousa en 1772 une belle jeune fille de vingt ans, la princesse Louise de Stolberg. Cette union fut aussi malheureuse qu’elle était mal assortie[1]. Les premières années du mariage se passèrent à Florence. Une cour d’admirateurs se pressait sur les pas de la

  1. La Revue nous a donné, par la plume élégante de M. Saint-René Taillandier, une biographie de la princesse qu’on appela plus tard comtesse d’Albany ; aussi ne nous arrêterons-nous pas longtemps devant cette image.