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IV

Débarqué à Morlaix, Charles se rendit immédiatement à Paris. Le roi Louis XV, qui n’avait jamais voulu le recevoir jusque-là, l’accueillit gracieusement. Le public parisien l’applaudit chaleureusement à l’Opéra. La sympathie que la nation française refuse rarement au courage malheureux lui fit croire que le roi et son gouvernement, qui admiraient les exploits de Charles, qui plaignaient son infortune, allaient lui offrir des secours efficaces. Il n’en fut rien. Ses prières, ses importunités, obtinrent quelques grades dans l’armée française pour ceux de ses partisans qui voulurent servir, et la somme de 40,000 livres pour secourir les plus pauvres d’entre eux. Jamais il ne put arracher autre chose, et l’on se lassa vite d’un prétendant incommode. Le cardinal de Tencin fut le seul qui lui resta toujours fidèle. Il était le confident de ses espérances. Lui parlant un jour d’une entreprise possible dans l’avenir, le cardinal lui proposa en cas de réussite de s’engager à céder l’Irlande à la France en échange de la couronne de la Grande-Bretagne qu’on l’aurait aidé à conquérir. Le prince s’écria vivement : « Non, non, monsieur le cardinal, tout ou rien ! point de partage. »

Voyant qu’il n’avait rien à espérer de la France, il songea à l’Espagne et courut à Madrid. Il y trouva la cour paralysée par la terreur que lui inspirait la flotte anglaise, croisant sur les côtes. On le reçut en secret, la nuit, en lui recommandant de partir au bout de quelques heures. Après ce nouvel échec, ses dernières espérances se tournèrent vers le roi de Prusse, Frédéric II. Il expédia à Berlin un serviteur fidèle avec une lettre au roi, lui demandant son appui et le priant de lui accorder la main d’une princesse de la maison royale de Prusse. « Je désire épouser une princesse de la religion réformée, écrivait-il, afin de concilier mes sujets, de leur prouver ma tolérance et mon équité… Je m’adresse à votre majesté comme au souverain le plus instruit, le plus sage, le plus habile d’Europe. » Il écrivit en même temps, et malgré son antipathie, à ce lord maréchal Keith qui l’avait tant impatienté jadis, et qui, devenu l’ami, le commensal de Frédéric II, exerçait quelque influence sur lui. La concession de la religion était un fait inouï pour un Stuart ; mais elle avança peu les affaires. Keith répondit froidement. Frédéric II rejeta la proposition avec une expression de raillerie amère.

Qui pouvait prendre au sérieux cet esprit de tolérance au moment où le prince Henri Benoît, son unique frère, se faisait prêtre à Rome, était presque aussitôt nommé membre du sacré-collège et