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y eut alors parmi les amis de la maison de Hanovre un véritable mouvement d’effroi, et le vendredi 6 décembre 1745, où l’on apprit à la fois l’arrivée du prétendant à Derby et la retraite du duc de Cumberland, fut appelé longtemps « le noir vendredi. » La crainte d’une invasion française, tant rêvée par les jacobites, ajoutait à ces terreurs. Or ce même 6 décembre l’armée écossaise battait en retraite. Un grand changement se fit alors dans la tenue de l’armée. Elle se sentait humiliée ; elle devint mécontente, les liens de l’obéissance et de la discipline se relâchèrent ; les soldats se livrèrent fréquemment à des actes de vol et de pillage. A leur retour à Manchester, ils furent assaillis par une populace furieuse, qu’ils eurent de la peine à disperser. La contenance du prince contribuait au découragement des soldats. Plein de douleur et de ressentiment, il voulait témoigner qu’il ne commandait plus l’armée. Au lieu de se montrer, selon sa coutume, le premier le matin à l’avant-garde, il ne quittait plus ses quartiers qu’à huit ou neuf heures, retardait l’arrière-garde, étalant aux yeux de sa troupe son chagrin et son mécontentement.

Il avait voulu laisser reposer son armée à Manchester. Lord George s’y opposa, hâtant la retraite. Au sortir de la ville de Wigan, il y eut une tentative d’assassinat contre le prince ; les meurtriers blessèrent à sa place un Irlandais appelé O’Sullivan. On chercha, on ne trouva pas les criminels. « Ils n’auraient pas eu grand mal à souffrir, dit un contemporain. On connaissait si bien la clémence du prince que les ennemis ne se gênaient pas de montrer leur malice ; mais l’armée, irritée par la fréquence des crimes, montra moins de patience. Personne ne voulut plus aller à pied ; on prit les chevaux partout où il fut possible de les trouver. Rien de plus curieux que de voir nos highlanders montant sans pantalons, sans selles, sans étriers, avec des brides confectionnées avec de la paille. C’est ainsi que nous quittâmes l’Angleterre. »

A peine le duc de Cumberland avait-il pris position pour couvrir Londres, qu’il eut connaissance de la retraite du prétendant. Cette retraite changeait toute la situation. Il se décida aussitôt à la poursuite et lança sa cavalerie, à laquelle vint se joindre un détachement du maréchal Wade, qui, n’ayant pas réussi à tourner l’ennemi, se trouvait oisif dans le Yorkshire. Malgré tous ces efforts, Cumberland ne parvint à atteindre son adversaire que dans le comté de Westmoreland. Depuis le crime de Wigan, Charles avait consenti à rejoindre l’avant-garde, où les tentatives d’assassinat semblaient moins à craindre. Lord George couvrait la retraite. Retardé par les bagages, il fut atteint au village de Clifton, près de Penrith, par des détachemens de cavalerie, que dispersa une charge du régiment de