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fallait retourner en arrière. Charles se récria. Lord George ajouta que, si le prince pouvait montrer une seule lettre d’un personnage important en Angleterre qui engageât l’armée écossaise à marcher sur Londres en promettant son appui, il était encore prêt à avancer, mais que dans leur dénûment, dans leur isolement, diminuant tous les jours, ses soldats ne pouvaient se mesurer avec les armées ennemies. La retraite devenait donc un devoir ; il fallait prendre les quartiers d’hiver en Écosse. Charles écoutait avec une rage concentrée, ne répondit rien, renvoya lord George et ses officiers. Il essaya de négocier avec chacun d’eux en particulier ; il les trouva tous décidés à retourner chez eux. La guerre de montagnes leur plaisait, ils y étaient habiles ; mais cette longue marche dans un pays inconnu, au milieu de populations indifférentes ou hostiles, répugnait à leurs inclinations et ne leur présageait aucun succès. On entrevoyait déjà des chances d’indiscipline et de révolte. Un conseil de guerre fut assemblé. D’une voix que l’indignation rendait tremblante, Charles annonça que l’armée allait retourner sur ses pas. La déclaration faite, il s’écria : « Que ne suis-je à vingt pieds sous terre ! »

La retraite commença dès le lendemain. Pendant les premières heures de la marche, au milieu de l’obscurité, les soldats croyaient encore se porter à la rencontre de l’armée du duc de Cumberland. Lorsqu’ils découvrirent leur erreur, il y eut parmi eux des mouvemens de rage et d’indignation. Bien plus que l’officier, le soldat aimait le prince, aimait sa cause, qui lui représentait un passé chéri d’indépendance nationale.

On se demande quel aurait pu être le résultat de la marche sur Londres, d’une victoire remportée sur les armées ennemies. Écoutons lord Manon : « Nous croyons, dit-il, que, si le prince avait poursuivi sa marche, il aurait pu toucher au trône de l’Angleterre ; mais nous ne croyons pas qu’il eût pu le conserver. Élevé dans le principe absolu du droit divin, professant la religion catholique romaine, bientôt il aurait porté atteinte aux privilèges d’un peuple jaloux de ses libertés, aux droits d’une église tenace et hautaine. Son caractère généreux, mais violent, ne le disposait pas à la patience. Les honneurs et les faveurs auraient été prodigués à ses partisans, et la nation en aurait été offensée. Bientôt les Anglais auraient constaté les dangers et les vices de ce gouvernement, et nous devons reconnaître comme un bienfait signalé de la Providence que cette longue suite de désastres qu’entraîne la nécessité d’une nouvelle révolution nous ait été épargnée par le fait de la retraite de Derby. »

En apprenant que les Écossais avaient atteint Derby, le duc de Cumberland fit un mouvement rétrograde pour couvrir Londres. Il