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dégager du désarroi où les événemens l’ont laissée, à renouer les traditions d’une entente sérieuse, d’une action collective ; mais enfin ! n’a-t-elle pas donné cette fois d’une façon quelconque une forme à une inquiétude que la marche ou l’apparence des choses devait lui suggérer ? N’y a-t-il pas eu un échange d’impressions, des communications adressées à Berlin et ailleurs ? L’Angleterre, pour tout dire, est-elle restée absolument impassible et muette ? Il n’est point impossible que l’émotion des gouvernemens ne se soit traduite d’une certaine manière. Les cabinets n’ont pas l’habitude de dire ce qu’ils font, surtout quand ils veulent réussir dans des circonstances particulièrement délicates. S’il y a eu quelque chose, il est bien certain que cela a été fait avec tous les ménagemens nécessaires, avec une prudente réserve. Ce ne serait pas moins une nouveauté caractéristique et rassurante, si cette petite tempête soulevée à la surface de l’Europe avait eu pour effet de conduire les cabinets à se rapprocher, à témoigner avec plus ou moins d’ensemble qu’ils ne sont point indifférens à tout ce qui peut mettre en doute la paix du monde.

La crise, qui s’apaise par degrés, peut avoir eu ce premier résultat ; elle en a un autre, elle est en vérité un avertissement qui peut avoir son utilité pour tous les pays, pour tous les gouvernemens, pour toutes les politiques. Que les Allemands, après avoir rempli l’air de leurs menaces et de leurs accusations, s’efforcent de rejeter sur la France la responsabilité de ces troubles d’opinion dont l’Europe se plaint, qu’ils aillent jusqu’à essayer de donner le change en attribuant au gouvernement français des correspondances faites avec les discours qui se tiennent à Berlin ou ailleurs, c’est un jeu qui ne trompe personne, dont ils sont les premiers à savoir le secret. Ce qui vient de se passer est de nature à les éclairer et à leur montrer que tout n’est pas permis même aux victorieux, que toutes les tactiques ne réussissent pas. Déjà ils ont pu éprouver qu’il y a des procédés de diplomatie, des tentatives hardies, des velléités de domination qui choquent un sentiment universel, qui risquent d’échouer devant la tranquille et ferme modération d’un petit pays comme la Belgique. Ils set tromperaient étrangement s’ils croyaient pouvoir abuser de la victoire au point de prétendre dicter des volontés ou dompter toutes les résistances. M. de Bismarck le sait mieux que tout autre, lui qui disait récemment avec une certaine bonne humeur à un Français : « Je crois que, vous et nous, nous faisons des frais de coquetterie avec l’Italie, et finalement il est bien possible que l’Italie ne fasse que ce qu’elle voudra. » Eh bien ! les Allemands ont besoin de se faire une politique qui respecte toutes les indépendances, de s’accoutumer à laisser chaque pays faire ce qu’il voudra et de ne pas paraître toujours prêts à saisir toutes les occasions d’agiter l’Europe par leurs prétentions ou leurs polémiques provocatrices. Ils ont une puissance qui