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rêver il y a dix ans. Ce qu’elle a commencé par une victoire des armes, elle est obligée de l’achever par la politique, par des efforts persévérans, et certes personne ne songe à la troubler dans son travail d’unification. Que gagnerait-elle à la guerre ? Elle se promettrait d’être encore une fois victorieuse, c’est possible ; elle ne risquerait pas moins tout ce qu’elle a fait dans une grosse aventure. Si elle poussait la France à la dernière extrémité, elle n’espérerait pas sans doute réussir sans combat, elle serait exposée à rencontrer une résistance désespérée, peut-être même plus sérieuse qu’en 1870, et, au bout du compte, la guerre est toujours la guerre, elle a des chances pour ceux qui savent les mériter. Une lutte qui se prolongerait ou qui prendrait certaines proportions entraînerait l’Allemagne dans des complications dont elle ne pourrait mesurer les conséquences, et, tout bien pesé, il n’est point impossible que les politiques allemands n’apprécient les avantages de la paix un peu mieux que les militaires impatiens qui ne rêvent que batailles, dont on nous a si bizarrement exposé les théories et les plans de conquête.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’une guerre comme celle dont on parle ne se ferait pas de l’aveu de l’Europe, qui se sentirait profondément atteinte. L’Allemagne a de vieilles et traditionnelles relations qu’elle a su renouer ou entretenir. Elle a fait l’alliance des trois empereurs dont elle se sert selon les circonstances. Il n’est pas moins vrai que, si elle se fait craindre, selon le mot de M. de Moltke, elle ne se fait pas aimer ; elle cause un certain malaise par ses entraînemens de prépotence, par ses tentatives auprès de l’Italie, en Belgique, et le jour où, sans une raison décisive, elle se lancerait dans une guerre nouvelle qui ne serait plus qu’une guerre pour la conquête et la domination, l’Europe se demanderait nécessairement où doit s’arrêter cette puissance qu’aucune considération ne retient ; elle songerait au lendemain. L’Autriche aurait cette fois le droit de s’inquiéter pour ses provinces allemandes ; le Danemark risquerait fort d’être encore diminué ; la Hollande se trouverait compromise dans sa sûreté et son indépendance ; l’Angleterre se sentirait directement menacée ; l’Italie ne serait point à l’abri, et la Russie elle-même serait plus ou moins exposée dans sa situation maritime, dans son ascendant politique. Toutes les nations considéreraient l’Allemagne comme une ennemie possible ; elles se retrouveraient devant une résurrection du système napoléonien. Ce serait la perspective que rouvrirait une guerre nouvelle arbitrairement déchaînée. Aussi serait-il impossible d’admettre que l’Europe, si désorganisée qu’elle soit, restât indifférente devant une crise qui affecterait si sérieusement sa sécurité en remettant tout en question. Elle s’inspirerait d’un vieux sentiment de solidarité, elle serait infailliblement conduite à mettre en commun ses craintes et ses prévoyances, à organiser la ligue de la préservation, de sorte que tout se réunit pour réduire à leurs vraies proportions ces