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Cette insalubrité des côtes a été le grand obstacle à la construction de la voie ferrée de l’isthme de Panama. A peine débarqués à Chagres, les terrassiers irlandais employés aux travaux de ce chemin de fer perdaient non-seulement le teint frais qui distingue leur race, mais l’appétit et la force musculaire ; ils furent presque tous exterminés par la maladie. Les nègres des Antilles eux-mêmes souffrirent beaucoup des atteintes du climat et se retirèrent en foule. Les Chinois, attirés par la promesse d’une paie très élevée, succombaient par centaines, on en vit beaucoup se suicider pour échapper aux souffrances de la maladie ; ils allaient s’asseoir, à la chute du jour, sur les sables de la baie, à la marée basse, et là, les yeux fixés sur l’horizon, se laissaient noyer par le flot. Le chemin de fer de Panama a coûté 500,000 francs par kilomètre, et, dit-on, une vie d’homme par traverse posée sur la voie. On avait d’abord songé à prendre pour point de départ du chemin de fer de l’isthme le magnifique port de Porto-Bello ; mais ce port est complètement fermé par une ceinture de hauteurs qui empêchent les vents du large d’y renouveler l’air corrompu par les miasmes des marais voisins, et il en résulte une mortalité si effrayante qu’on a dû renoncer aux avantages exceptionnels qu’offrait une pareille tête de ligne. Aspinwall, sur la même côte, a également une réputation d’insalubrité des mieux fondées. « Les immigrans qui ont pu résister, dit un voyageur, montrent des visages jaunes, amaigris, l’aspect de ruines ambulantes ; seuls les yeux brillent d’un vif éclat, celui du feu de la fièvre et du feu de la spéculation. Tout se vend si cher à Aspinwall que le moindre débitant a bientôt fait fortune, quand la fièvre ne vient pas arrêter son essor. » A Carthagène, sur la même côte encore, la transpiration que provoque une chaleur étouffante donne aux habitans la couleur livide des malades, leurs mouvemens sont sans vigueur, leur voix faible et traînante. C’est de là que l’amiral anglais Vernon ramena en 1741 une armée que les lièvres avaient réduite au dixième de l’effectif. « Au mouillage près de l’île Roatan, sur la côte de Honduras, dit Lind, les vaisseaux mouillent dans un bassin tellement abrité par de hautes montagnes, qu’il est inaccessible aux vents. L’air stagnant devient si funeste qu’après l’avoir respiré quelques jours on est attaqué subitement de vomissemens violens, de maux de tête, de délire, et qu’en moins de deux ou trois jours on voit le sang dissous sortir par tous les pores. Il est probable que l’eau de mer se putréfierait promptement en de tels lieux, si son mouvement n’était entretenu par les courans du large. »

Les faits de ce genre prouvent d’une manière évidente le danger de la stagnation de l’atmosphère, et la contre-épreuve est fournie par la salubrité bien démontrée des bas plateaux de l’intérieur. Celle des plateaux élevés du Guatemala, du Honduras, de San-Salvador, s’explique aisément par leur altitude considérable ; mais pour rendre compte de la salubrité du Nicaragua et du Costa-Rica on ne voit que l’influence