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continent, qu’apparaissent les marais et la malaria ; mais c’est aussi là que se trouvent des zones de calmes et des centres d’aspiration qui s’étendent jusqu’à l’archipel malais. M. A. Grisebach, dans son livre intitulé la Végétation du globe[1], fait remarquer que la zone des calmes équatoriaux se reconnaît sur divers points des continens, où l’échauffement du sol permet à des couches d’air chargées de vapeur de prendre un mouvement ascensionnel. Un de ces centres d’aspiration se trouve au nord de l’Amazone, entre le Rio-Negro et le pied des Andes. Là règnent des vents irréguliers, des calmes avec dépression barométrique, et des pluies continuelles ; là les forêts vierges sont inextricables, l’air stagnant, l’homme sans force, le climat pernicieux. Plus à l’est, la vallée de l’Amazone, qui est en réalité une immense plaine à pente presque insensible, balayée par le souffle constant des alizés, se couvre de savanes, et le climat est très sain.

C’est dans l’Amérique centrale que se trouvent rapprochées les zones les plus complètement différentes au point de vue de la salubrité ; on y voit, tout à côté les uns des autres, des foyers redoutables d’endémies et des régions parfaitement habitables malgré le climat équatorial. Toute la côte orientale ou atlantique, depuis la Véra-Cruz jusqu’à l’isthme de Panama, est tristement célèbre par son insalubrité, tandis que les plateaux intérieurs du Nicaragua et du Costa-Rica, dont l’altitude moyenne est sensiblement la même que celle du rivage atlantique, et qui ont aussi la même température moyenne, peuvent être rangés parmi les régions les plus propres à la colonisation.

Le versant atlantique de l’Amérique centrale n’est qu’une bande étroite de plaines horizontales et fangeuses qui longent le pied de la cordillère, laquelle par une pente abrupte s’élève brusquement à quelques milliers de mètres. C’est « l’enfer des terres chaudes ; » la montagne le sépare des heureuses régions de l’intérieur, doucement inclinées vers le Pacifique et couvertes de cultures et de villages. La chaleur et l’humidité donnent à cette bande d’alluvions de la côte une fertilité sans égale ; mais un climat meurtrier en éloigne l’émigrant européen. Au milieu de ces magnifiques forêts aux arômes pénétrans, il respire la mort. Il règne dans cette zone une torpeur indéfinissable, une tendance à la vie passive, contre laquelle il faut réagir à tout prix lorsqu’on veut échapper à l’ennemi qui vous guette, car dans ces pays toute attaque de fièvre est grave ou mortelle. C’est la conséquence de la stagnation de l’air. Les vents régnans du nord-est sont arrêtés par le rempart de la cordillère, et cet obstacle suffit pour vicier l’air de la côte, comme sur d’autres rivages également plats et surplombés par des massifs montagneux (le Choco dans la Nouvelle-Grenade, certaines plages de Madagascar, la côte de Batavia, etc.).

  1. La Végétation du globe, esquisse d’une géographie comparée des plantes, par A. Grisebach, traduit par P. de Tchihatchef, Paris 1875 ; Th. Morgand.