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contemporains. Cependant la réputation croissante du jeune écrivain, son talent, ses relations même ne lui permettaient guère de rester plus longtemps en dehors de la politique, où tous les partis cherchaient à l’attirer. Le général O’Donnell, chef de l’Union libérale, était alors au pouvoir ; Alarcon l’avait connu en Afrique et inclinait vers ses idées ; par un sentiment de délicatesse des plus honorables, il attendit la chute du ministère avant de se déclarer pour lui ; il fit alors en faveur de l’Union libérale deux brillantes campagnes dans les colonnes de la Epoca et de la Politica. Candidat à la chambre, les persécutions mesquines du gouvernement le désignaient d’avance aux suffrages des électeurs : il fut en 1865 choisi comme représentant par les habitans de Guadix, ses concitoyens, et dans ce pays où les hommes diserts abondent, où l’éloquence semble chez tous un don naturel, dès qu’il parut à la tribune, il s’y fit remarquer par l’ampleur et l’énergie de sa parole. Depuis lors d’ailleurs il a siégé aux cortès à plusieurs reprises. La révolution de 1868 éclata : Alarcon, qui venait d’être exilé à Burgos pour son opposition, joua un certain rôle dans le mouvement ; puis, comme le gouvernement provisoire l’avait nommé plénipotentiaire auprès la cour de Suède, il préféra occuper sa place de représentant. La guerre carliste, l’avènement et la chute du roi Amédée, l’insurrection communaliste de Carthagène, le désordre des finances et la désorganisation de l’armée, tant de malheurs, tant de ruines accumulées en si peu de temps, lui donnèrent à réfléchir ; l’expérience l’avait, comme bien d’autres, guéri de ses illusions fondées sur l’accord des partis ou le talent pratique des républicains espagnols. Aussi, quand tout récemment Alphonse XII rentrait à Madrid, il adhéra des premiers à la restauration, et lui, qui constamment avait refusé tout titre et toute place du gouvernement, il crut cette fois pouvoir accepter une charge de conseiller d’état.

Cependant depuis quelque temps déjà, comme pour oublier les déboires et les soucis de la politique, Alarcon était revenu à ses anciens travaux. C’est l’année dernière qu’a paru el Sombrero de tres picos (le Tricorne), sorte d’histoire villageoise admirablement contée. La scène se passe dans la province de Grenade, vers le commencement de ce siècle, aux environs d’une petite ville, la ville de Guadix très probablement ; le tricorne, c’est celui que portaient alors les hauts personnages, les autorités, avec le manteau rouge et la petite épée, celui que portait le grand-père de l’auteur lui-même et dont il s’était amusé tout enfant, sans aucun respect pour cette relique de famille. Il faut voir dès le début Alarcon s’égayer avec son sujet. « Bienheureux temps, s’écrie-t-il, où notre pays vivait dans la paisible et tranquille possession de toutes les toiles d’araignées, de toute la poussière, de toutes les mites, de tous les