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impression qu’il s’est efforcé de rendre dans son livre De Madrid à Naples, où la grandeur de la pensée ne nuit en rien au charme et à la vivacité du récit. A certains momens, la voix s’élève avec le sujet jusqu’à la poésie. Alarcon en effet est un vrai poète, et même il a publié un volume de vers. Poésies sérieuses et humoristiques, sous ce titre un peu prétentieux sont comprises des pièces de tous les genres et de tous les tons. A bien regarder cependant, c’est la note amoureuse qui domine ici avec une légère pointe d’ironie familière à l’auteur. Ne va-t-il pas jusqu’à dédier son livre à sa femme, un livre où chaque feuillet amène une réminiscence ? Il est vrai qu’il s’en tire assez finement. « C’est pour toi, mon amie, que j’ai réuni ces vers, qui sont comme des fleurs fanées dispersées au vent de l’oubli ; je te les offre. Ah ! je n’eusse chanté que toi et ton amour, si c’était toi la première que j’avais connue ! »

Alarcon, a-t-on dit là-bas, est un poète subjectif, il fait de la poésie autobiographique, voilà certes de bien grands et terribles mots, et la chose gagnerait à être exprimée plus modestement. Depuis plusieurs années déjà, les Espagnols se sont épris d’un bel amour pour la philosophie allemande et ses plus modernes représentans ; des doctrines mêmes, tout porte à croire qu’ils n’ont compris ni peu ni prou ; du moins en ont-ils gardé le jargon, dont ils se servent en toute occasion, et là même où il n’a que faire, à propos de poésie par exemple. En d’autres termes, Alarcon dans ses vers se livre à nous tout entier, il nous ouvre son âme, ce qui est encore le meilleur moyen d’arriver à l’âme des autres, il nous fait part de ses joies et de ses tristesses, de ses espérances et de ses déceptions, et cette confession volontaire, moitié larmes, moitié sourire, emprunte au caractère du poète un intérêt tout particulier. Une simple citation suffira pour faire juger du ton de l’ouvrage : « Personne ne meurt d’amour, disent les docteurs de notre siècle ; mais quand on a aimé vraiment, c’est l’âme qui meurt d’amour ou c’est l’amour qui meurt, et certes ce doit être bien incommode que de porter toujours dans l’âme un amour mort. »

Les mêmes qualités d’esprit se retrouvent dans un volume d’articles détachés, Cosas que fueron, Choses passées, et deux volumes de nouvelles choisies par l’auteur entre beaucoup d’autres, car les livres qu’il a publiés formeraient à peine la dixième partie de son œuvre. Ces nouvelles, fort courtes pour la plupart, ont paru d’abord dans des journaux ou des recueils. Cela tient aux conditions mêmes de la publicité en Espagne, où le peuple lit peu de livres ; les romans les plus longs se vendent par livraisons séparées. Pour tout dire, le caractère d’Alarcon et la nature de son talent s’accommodaient assez bien de cette production hâtive et quotidienne ; nous serions même en droit de lui reprocher un peu trop de précipitation et de