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gence de son départ, et je dus lui conseiller de l’effectuer dès le lendemain matin. Elle s’y résigna avec chagrin, mais sans discuter. Elle devait emmener Roger, qu’elle voulait faire émanciper, afin de la dispenser de prendre des résolutions contraires à ses désirs.

Mme de Montesparre commanda tout de suite sa voiture et ses chevaux pour le jour suivant de grand matin, afin de faire gagner aux voyageurs le chemin de fer à l’heure voulue. Elle parlait d’accompagner son amie à Paris ; mais Roger, qui rentrait en cet instant, lui dit d’un ton affectueux et sérieux en lui baisant la main : — Non, chère madame, il faut rester chez vous, il le faut ! — Il ne voulut pas s’expliquer, mais je vis au front radieux de Roger que M. de Salcède, en le priant amicalement d’être moins familier avec la baronne, lui avait fait volontairement deviner ses projets. Roger en était si heureux que je vis combien Mme de Flamarande avait deviné juste en refusant de lui donner un nouveau rival. La joie de Roger éclaira aussi Mme de Montesparre, qui ne parla plus d’aller à Paris.

Quand Gaston fut mis au courant des motifs de ce prompt départ, il eut un moment de tristesse. Il s’était flatté de rester avec sa mère et son frère quelques jours de plus ; mais il s’exécuta avec courage et promit d’aller à Paris avec Salcède au commencement de l’hiver. Puis, comme nous étions bien en famille au salon, il embrassa passionnément sa mère et son frère et leur dit adieu. Il ne voulait pas les revoir devant témoins le lendemain matin ; il craignait qu’ils ne vinssent à se trahir en lui témoignant trop d’affection.

On alla se coucher de bonne heure, Salcède resta au salon avec la baronne pour la préparer, je crois, à de plus sérieuses ouvertures après le départ de Mme de Flamarande ; Roger suivit sa mère chez elle pour l’entretenir vraisemblablement du même objet. Il me dit à peine bonsoir et ne m’adressa pas un mot pour m’engager à rester attaché à la famille.

Le lendemain, mêtne froideur et même silence. Enfin, pendant qu’on attelait les chevaux, il me demanda d’une voix brève si je retournais à Paris avec eux. — Non, lui répondis-je, j’y retourne de mon côté, je quitte votre service, vous le savez bien.

— Tu sais, toi, reprit-il, sans trouver un mot pour me retenir, que tes cent mille francs sont toujours chez Salcède ?

— Je les refuse.

— Alors donne-les aux pauvres, ni moi ni Gaston n’accepterons ce cadeau, — et il se détourna pour embrasser Salcède, qui arrivait avec la comtesse et la baronne. Il lui donna cette accolade avec une effusion bien éloquente ; son aversion pour moi jusqu’au dernier moment ne le fut pas moins.