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Depuis, les traductions latines des Vers d’or, à peu d’exceptions près, sont à côté du sens. Nous croyons pouvoir affirmer, pour avoir fait sur ce point de fastidieuses recherches, qu’à part les traducteurs de Hiéroclès, lesquels ne pouvaient pas se tromper, éclairés qu’ils étaient dans le moment par le commentaire si détaillé et si lumineux de Hiéroclès lui-même, tous les autres, rencontrant le précepte et le vers cité dans divers ouvrages antiques, se sont mépris, — et ces traducteurs ne sont pas les premiers venus, c’est Grotius, c’est juste Lipse, c’est Ménage et toute une suite de véritables savans. On peut s’étonner que M. Westermann en 1862, dans son édition de Porphyre, qui fait partie de la bibliothèque grecque-latine de M. Firmin Didot, ait encore laissé échapper l’erreur consacrée par le temps. Le grand helléniste M. Gobet, dans son Diogène de Laerte publié dans la même collection, est le seul qui, sans toutefois relever l’erreur, n’ait pas versé dans l’ornière, et c’est pour nous un plaisir de le constater. Vit-on jamais un contre-sens à la fois si tenace, si fâcheux, si facile à reconnaître et à éviter ? D’autre part, depuis le XVIe siècle, des historiens qui ont touché à l’école de Pythagore, entre autres Brucker, l’auteur si connu d’une Histoire critique de la philosophie[1], ne voient pas qu’il s’agit dans les Vers d’or d’un examen de conscience ; d’autres, se trompant à demi, tout en attribuant un exercice moral à l’école, reconnaissent encore à côté un exercice de mémoire. Ainsi un célèbre critique allemand, mort au commencement de ce siècle, Meiners, en son Histoire des sciences dans la Grèce, où il consacre une longue étude à Pythagore, ne craint pas de dire : « Pythagore, en prescrivant à ses disciples de se rappeler ce qu’ils avaient fait,… n’avait pas seulement en vue de leur apprendre à se connaître eux-mêmes et de former les cœurs à la vertu ; il voulait encore par là, comme nous l’assurent plusieurs historiens, leur prescrire un excellent exercice pour la mémoire, et voilà pourquoi ces exercices sont regardés aussi comme l’art de la mémoire, selon les pythagoriciens[2]. » Meiners vante fort longuement et avec beaucoup de chaleur ce prétendu exercice de mémoire, et, parlant de cette insipide biographie journalière, telle que l’entendent Diodore et Jamblique, il s’écrie avec admiration : « La mémoire des pythagoriciens devait ressembler à une galerie de tableaux. » Chose plus surprenante, Fénelon lui-même, qui aurait dû mieux qu’un autre, comme esprit délicat et comme prêtre, démêler le vrai sens du précepte, Fénelon, dans son Abrégé des vies des anciens philosophes, traduit ainsi le passage des Vers d’or  : « Où as-tu été ? Qu’as-tu fait à

  1. T. Ier, p. 1033.
  2. T. II, p. 135.