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sur une proie. Je les écoute et je ris, j'en suis à demi mort. Otez-vous de là, vous autres.

Les Juifs se courbèrent jusqu'à terre en se retirant. — Que Dieu vous éclaire, dit Sonnenglanz de la porte.

— Filez !

— Maintenant à nos affaires, dit M. de Festenburg. Où en êtes-vous avec ma fille ?

— Elle est prête à me suivre au bout du monde. Comprenez-vous mon bonheur ?

— Et elle vous suivra en effet. Il faut que vous l'enleviez.

— L'enlever ! Vous me le conseillez vous-même ?

— J'y tiens, répliqua le vieillard, ne fût-ce que pour attraper une fois ma femme; elle bondira de colère.

— Si vous l'ordonnez, beau-père, dit d'un air résigné le don Juan de Baratine, j'enlèverai donc votre fille, mais seulement pour vous faire plaisir.

À minuit, Valérien, jusqu'aux genoux dans la neige, attendait sous la fenêtre de la fille romanesque du trop pratique M. de Festenburg. Quand la sonnerie de l'église du village se fut éteinte, la fenêtre éclairée au dedans s'ouvrit, Hélène rattacha l'échelle de corde, puis se pencha pour tendre la main à son amant. Le courant d'air de la veille si bien préparé par Weinreb lui avait procuré un rhume peu poétique ; aussi avait-elle jeté par-dessus son peignoir Watteau une veste de fourrure et sur sa belle tête un baschlik brodé d'or. Lorsque Valérien eut saisi la main qu'elle lui présentait, elle attira la sienne jusqu'à ses lèvres par un mouvement rapide, — Hélène ! s'écria Valérien confus et ravi.

— Je t'aime ! répondit-elle avec transport.

Valérien enjamba le balcon et ferma la fenêtre. — Nous ne pouvons plus rester ici, poursuivit la jeune fille frémissante, mes parens ne consentiront jamais à notre union ; mais je lutterai contre eux, contre le monde entier. Fuyons en Italie.

— Avez-vous réfléchi à ce que vous me proposez, Hélène ? fit le don Juan converti. Votre amour est mon plus grand, mon seul bonheur, il est toute ma vie ; mais si vous me suivez, si les portes de sa propre maison se ferment à la riche et noble héritière, c'est la pauvreté qui sera notre partage. L'accepterez-vous sans regret ?

— Je supporterai tout, sauf d'être séparée de toi.

Valérien se mit à genoux devant elle et baisa le bord de sa robe avec un respect religieux. — Je vous vénère, dit-il ; sans vous je ne saurais que devenir, je me tuerais si vous me chassiez.

— Eh bien ! il n'y a pas de temps à perdre. Ma mère m'a menacée ; elle me destine à un hypocrite que je déteste. Sauvez-moi !