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FLAMARANDE.

— Non, elle serait humiliée peut-être, inquiète tout au moins, de devoir son bonheur à mon influence. Dites-lui seulement que je vous ai démontré les impossibilités d’un mariage entre nous, et montrez-vous calme et satisfait comme doit l’être un homme de bien et un philosophe aussi sérieux que vous l’êtes. Dans quelques jours, quand je serai partie avec Roger…

— Dans quelques jours ?

— Oui, j’ai reçu tantôt une lettre de mon notaire. Il faut que je m’occupe des affaires de la succession. M. de Flamarande a fait un don considérable à sa maîtresse, et nous accepterons cette spoliation en silence ; mais la fortune est très entamée, et il faut aviser à la liquider. Donc je pars avec Roger afin d’agir en son nom, si Gaston persiste à ne pas hériter.

— Il persistera, mais ne vous en affectez pas ; mon mariage avec Berthe facilitera les moyens de vous rapprocher plus souvent et plus longtemps de lui. Quant à son sort, ne vous en inquiétez pas non plus. Gaston ne peut être heureux qu’à la condition de suivre les inspirations de son cœur ardent et de son imagination exaltée. Dieu merci, ces inspirations sont toujours empreintes d’un héroïsme si entier qu’il a les apparences du calme et de la gaîié. Le fond de sa résolution, c’est qu’il aime Charlotte et ne veut pas la voir se transformer en femme du monde. Elle sera la châtelaine de Flamarande sans perdre le charme de sa simplicité rustique. Quant à lui, il restera ce qu’il lui plaît d’être, un parvenu intelligent et laborieux, devant tout à lui-même et ne subissant aucun joug de convention. Je vous prédis qu’il n’endossera jamais un habit noir, et qu’aucun salon de Paris ou de province ne le verra jamais. Prenez-en votre parti. Vous l’avez adoré tel qu’il était, adorez-le toujours tel qu’il veut être.

— C’est fait, répondit la comtesse ; j’accepterai tout et ne vous ferai pas de reproche d’en avoir fait un ange et un sage.

Ils causèrent encore en s’éloignant, et j’allais m’éloigner aussi lorsque j’entendis revenir Mme de Flamarande, qui marchait vite et qui, descendant seule le sentier, venait droit sur moi. Je n’eus que le temps de quitter mon banc et de me jeter dans le fourré. Elle vint à ce banc, s’y laissa tomber comme si elle était épuisée, puis, couvrant son visage de son mouchoir, elle fondit en larmes. J’entendis le râle de ses sanglots étouffés qui pénétrèrent mon cœur d’admiration et de pitié.

Elle aimait donc Salcède et elle se sacrifiait à Roger ! Elle se sacrifiait avec une fermeté enjouéo qui avait ôté toute espérance au marquis, et maintenant elle souffrait avec l’énergie d’une âme généreuse qui sait cacher ses ardeurs refoulées sous les dehors de la prudence et de la raison. Elle me parut sublime, et je fus honteux