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un mot, soit qu’il craignît de se trahir, soit qu’il reconnût la haute raison de Mme de Flamarande, elle ajouta : — Faisons mieux, ôtons au monde tout prétexte de railler notre amitié et de l’empêcher de se montrer au giand jour. Je vous avoue que, pour moi, un simple sourire autour de nous serait une flétrissure dont je souffrirais mortellement. Ce que je vais vous proposer me permettra de vivre une grande moitié de ma vie entre vous, Gaston et Roger sans que personne en soit surpris. Épousez Mme de Montesparre.

— J’y ai pensé, répondit Salcède ; mais elle exigerait l’amour, et je n’ai pour elle que l’amitié la plus loyale et la plus fervente, celle que vous m’accorderiez…

— Et dont vous ne vous contenteriez pas ? reprit la comtesse.

— Je l’avoue. Donc la baronne…

— Attendez, Salcède ! Vous dites pourtant que vous y avez pensé, et moi je vais vous dire pourquoi cette pensée vous est revenue souvent avec une sérieuse autorité. Vous avez fait mon long malheur sans le vouloir. Je ne peux pas m’en plaindre, et vous n’avez plus rien à réparer envers moi. Au contraire c’est à moi de vous bénir, moi qui ai accepté comme un dédommagement qui m’était dû le sacrifice volontaire et gratuit de votre jeunesse. Il n’en va pas de même avec Mme de Montesparre. Vous avez accepté, vous, son dévoûment absolu et le sacrifice de sa réputation. Elle est si bonne qu’on l’aime, elle n’a plus ni mari, ni enfant, on lui pardonne, et pourtant c’est une grande injustice qu’elle subit, c’est une véritable humiliation qu’elle endure sans se plaindre de passer pour votre maîtresse, elle qui n’a jamais commis la moindre faute. Si son fils vivait encore, il aurait à peu près l’âge des miens. Elle serait dans une perpétuelle inquiétude de le voir devenir tour à coup triste ou furieux comme l’était dernièrement Roger. Et quelle compensation aurait-elle à son malheur ? Comment se jusii(ierait-elle après avoir montré à tout son entourage ce dévoûment sans bornes dont vous avez été l’objet ? Vous n’êtes pas libre de le méconnaître plus longtemps, Salcède, vous lui devez une réparation éclatante et vous pouvez la lui donner à présent que Gaston est en possession de son intelligence et de sa volonté. Cette union ne vous sépare pas de lui. Berthe est fixée en Auvergne, elle n’est pas forcée de se partager. Elle vivra avec vous, elle vivra tantôt ici, tantôt au Refuge, qui sera pour elle une Arcadie. Nous serons tous libres et heureux ainsi, car vous l’aimerez de plus en plus, cette charmante femme qui vous adore et que vous serez fier d’avoir réhabilitée…

— Assez, madame, répondit Salcède, je ne veux pas descendre dans votre estime et dans celle de Gaston, qui pense coiume vous et qui me l’a fait comprendre, je ferai mon devoir. J’épouserai Mme de Montesparre. Dois-je aller le lui dire ?