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FLAMARANDE.

— Vous ne la diriez pas devant moi. J’espère qu’il vous l’arrachera, je vous quitte.

Quelques instans après, Mme de Flamarande, qui était allée au-devant de Salcède, revenait avec lui et s’asseyait sur un banc placé juste au-dessus de celui où j’étais resté cloué par une curiosité dont cette fois j’avais bien la conscience de ne jamais faire un mauvais usage.

LXXVII

Je n’avais pas entendu les premières paroles échangées entre eux sur le sentier. Le premier mot que je recueillis fut une déclaration très nette de la comtesse. — Parlons franchement, disait-elle, brutalement même, pour trancher la situation. Je vois bien ce que vous a dit la baronne et dans quel lacet elle veut m’engager. Il y a longtemps d’ailleurs qu’elle me parle de votre amour et qu’elle vous révèle le mien. Cette révélation est une supposition toute gratuite, fondée sur sa propre appréciation. Berthe vous aime et vous aimera toute sa vie dans le sens qu’elle m’attribue, elle ne peut comprendre le genre d’affection que j’ai pour vous ; vous la comprendrez, vous qui savez mieux analyser le cœur humain. Mon amitié pour vous, ma haute estime, mon admiration, je dirai même ma vénération pour votre caractère, vous les connaissez, vous n’en douterez jamais ; mais on veut qu’à ces sentimens si purs et si élevés il s’en joigne un plus intime, qui consiste dans le désir d’appartenir à l’homme que l’on admire. — Eh bien ! ce sentiment-là n’a jamais existé et n’existera jamais en moi. Vous seul au monde méritiez de me l’inspirer, et, si je l’éprouvais, je ne rougirais pas de l’avouer à un homme tel que vous ; mais, je vous l’ai dit l’autre jour, la mère a tant souffert en moi qu’elle a tué la femme. L’épouse n’a que des souvenirs amers, l’amante n’a jamais eu le loisir et la santé morale qui auraient pu la développer. Vous l’avez compris, mon brave Salcède, puisque vous ne m’avez jamais dit un mot ni adressé un regard empreint de volupté. Sachez bien à présent qu’à cet égard je suis morte de mort violente, mes sens se sont glacés dans les larmes, et je ne sens rien en moi de ce qu’il faut pour donner du bonheur comme l’entend ma pauvre Berthe. Je ne sais que chérir avec la franchise d’une chasteté inaltérable, et, de moi à vous, après les accusations portées contre nous, s’il n’en avait pas toujours été et s’il n’en devait pas être ainsi pour toujours, je mériterais, sinon d’avoir été condamnée par mon mari, du moins d’avoir été soupçonnée. Allons, cher Salcède, ôtons cette chimère de l’esprit de notre amie ; aidez-moi à la détromper. — Et comme Salcède semblait accepter son arrêt sans dire