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par les lois des corps inertes les phénomènes des corps vivans. Or voilà un principe faux ; donc toutes les conséquences doivent être marquées au même coin. » Si maintenant nous demandons quels sont les caractères propres à cette science des êtres vivans, Bichat nous répond : « C’est une science dont les lois sont, comme les fonctions vitales elles-mêmes, susceptibles d’une foule de variétés, qui échappe à toute espèce de calcul, dans laquelle on ne peut rien prévoir ou prédire, dans laquelle nous n’avons que des approximations le plus souvent incertaines. » Ce sont là des hérésies scientifiques d’une énormité telle qu’on aurait de la peine à les comprendre, si l’on ne voyait comment la logique d’un système a dû fatalement y conduire. Reconnaître que les phénomènes vitaux ne sauraient être soumis à aucune loi précise, à aucune condition fixe et déterminée, et admettre que ces phénomènes ainsi définis constituent une science vitale qui elle-même a pour caractère d’être vague et incertaine, c’est abuser étrangement du mot science. Il semble qu’il n’y ait rien à répondre à de pareils raisonnemens, parce qu’ils ne sont eux-mêmes que la négation et l’absence de tout esprit scientifique.

Cependant que de fois n’a-t-on pas reproduit des argumens analogues, combien de médecins ont professé que la physiologie et la médecine ne seraient jamais que des demi-sciences, des sciences conjecturales, parce qu’on ne pourrait jamais saisir le principe de la vie ou le génie secret des maladies ! Ces affirmations, qui viennent encore retentir à nos oreilles comme des échos lointains de doctrines surannées, ne sauraient plus nous arrêter. Descartes, Leibniz, Lavoisier, nous ont appris que la matière et ses lois ne diffèrent pas dans les corps vivans et dans les corps bruts ; ils nous ont montré qu’il n’y a au monde qu’une seule mécanique, une seule physique, une seule chimie, communes à tous les êtres de la nature. Il n’y a donc pas deux ordres de sciences. Toute science digne de ce nom est celle qui, connaissant les lois précises des phénomènes, les prédit sûrement et les maîtrise quand ils sont à sa portée. Tout ce qui reste en dehors de ce caractère n’est qu’empirisme ou ignorance, car il ne saurait y avoir des demi-sciences ni des sciences conjecturales. C’est une erreur profonde de croire que dans les corps vivans nous ayons à nous préoccuper de l’essence même et du principe de la vie. Nous ne pouvons remonter au principe de rien, et le physiologiste n’a pas plus affaire avec le principe de la vie que le chimiste avec le principe de l’affinité des corps. Les causes premières nous échappent partout, et partout également nous ne pouvons atteindre que les causes immédiates des phénomènes. Or ces causes immédiates, qui ne sont que les conditions mêmes des phé-