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FLAMARANDE.

rande. Je pensais qu’on avait vaincu la résistance de Gaston, et qu’on avait dû l’emmener à Paris pour régulariser sa nouvelle situation. Je pris une voiture et la grande route pour me rendre à Montesparre. Mon état maladif ne me permit pas de faire ce long détour en une journée. Enfin j’arrivai à Montesparre cinq jours après avoir quitté Flamarande. Je savais que la baronne avait l’intention, quelle que fût l’issue des événemens de la famille Flamarande, de rester en Auvergne jusqu’à l’hiver. Je me fis descendre à une entrée du parc qui donnait sur la route, très en avant de la maison. J’étais dans un état nerveux que le mouvement de la voiture rendait insupportable ; je ne voulais pas me présenter malade, je complais qu’un peu de marche sous les ombrages du parc me remettrait. Il n’en fut rien, je me sentis défaillir, et je fus forcé de m’asseoir sur un banc qui s’offrit devant moi. Je crus entendre parler à deux pas de moi ; j’étais si faible que tout m’était indifférent, je ne me rendais même pas compte du son des voix et du sens des paroles ; cependant je reconnus que Mmes de Flamarande et de Montesparre causaient avec animation derrière moi en marchant sur un sentier en terrasse au-dessus de celui où je me trouvais abrité par des massifs de lilas et d’acacias. Je me levai aussitôt pour m’éloigner, mais je craignis d’être vu, et, puisque je fuyais le contact de la famille de Flamarande, je ne voulais pas être repris par elle. Je fus donc forcé d’entendre ce que disaient les deux amies.

Mme de Flamarande insistait auprès de la comtesse pour qu’elle promit sa main à M. de Salcède. — Non, répondait celle-ci, cela n’a plus de raison d’être du moment où Gaston refuse d’être adopté par lui. Gaston veut se fixer à Flamarande, puisqu’il a accepté enfin de son frère ce pauvre rocher et cette modeste propriété, qu’il sera censé lui avoir achetée. M. de Salcède aime aussi Flamarande, où il s’est enseveli par dévoûment et où il est arrivé à se plaire par habitude et par amour des sciences naturelles ; mais, avant tout, il aime Gaston, et se séparer de lui serait un sacrifice au-dessus de ses forces. Je suis convaincue qu’il ne désire en aucune façon un mariage qui l’en éloignerait forcément.

— Pourquoi s’en éloignerait-il ? s’écria la baronne. Il vous bâtira, à la place du Refuge, un château digne de vous, où vous passerez les étés auprès de Gaston, et où Roger viendra chasser.

— Les étés sont courts à Flamarande, et Roger, malgré sa tendresse pour son frère, ne vivra pas tous les ans pendant trois mois en Auvergne. D’ailleurs le reste de l’année Salcède devrait quitter Gaston ou me laisser vivre à l’état de veuve, comme a fait M. de Flamarande car si je suis capable pour Gaston d’accepter le séjour des neiges, je ne dois pas quitter Roger, qui ne saura pas vivre sans moi et qui fera des folies, si je l’abandonne à lui-même. Enfin,