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tout à fait net à mon esprit. Aussitôt j’ai préféré la réalité à mon doux songe, et j’ai sauté au cou de cet excellent homme, à qui je demande pardon…

— De quoi donc ? dit Salcède d’un ton cordial et enjoué. Allons ! causez avec votre mère, je vous laisse.

— Vous allez chercher Gaston, s’écria Roger. Ce que j’ai à dire à maman, je veux le lui dire aussi.

LXXVI.

Salcède sortit. La comtesse resta un instant étourdie de ce que venait de dire Roger. — Gaston ? répéta-t-elle d’un ton de surprise, qu’est-ce que tu veux dire ?

— Chère mère adorée, répondit Roger, qui me sembla s’être agenouillé devant elle, ce nom que, dans mon enfance, on me défendait de prononcer devant toi, parce qu’il te faisait pleurer, je peux te le dire cent fois le jour, à présent que tu le tiens, que nous le tenons, ce Gaston chéri, dont rien ne nous séparera plus ! — Et il lui conta rapidement comment l’abbé Ferras l’avait informé et comment il avait ouvert ses bras à son frère en s’assurant par le témoignage d’Ambroise que c’était bien lui. Il rapporta ensuite son entretien avec moi, mais sans m’accuser d’aucune mauvaise intention et en s’accusant lui-même d’avoir mal interprété mes paroles. Enfin il lui rapporta sa fuite, sa dispute et sa réconciliation avec son frère, sa course désespérée à travers les bois, la visite que Salcède lui avait faite à Léville, et sa promesse de revenir ce jour même. — Mais je n’ai pu attendre le jour, ajouta-t-il. J’avais encore un chagrin mortel, et un besoin de t’embrasser qui dominait tout. Écoute, mère, je ne vaux rien, je ne mérite pas d’être ton fils ; mais j’ai quelque chose de bon, c’est que je t’adore et que, n’eussé-je pas la certitude, la conviction absolue que, sans le savoir, tu viens de me donner, j’accepterais tout et ne t’en aimerais que davantage, si cela était possible !

La mère et le fils s’embrassèrent passionnément, je n’entendis plus que leurs baisers et leurs sanglots, mêlés d’exclamaiions de joie, jusqu’à la rentrée de Salcède avec Gaston et Ambroise. Roger se jeta dans les bras de son frère et l’amena dans ceux de sa mère. Il embrassa aussi Salcède, et, après avoir dit des paroles affectueuses à Ambroise, il demanda où j’étais. Personne ne m’avait vu, mais j’étais prévenu et j’allais sans doute arriver. Alors Roger demanda pourquoi Charlotte et ses parens n’assisteraient pas les premiers à la reconnaissance publique qu’il voulait faire de son frère.

Espérance s’y refusa, et d’une voix ferme il lit cette réponse surprenante et inattendue :