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FLAMARANDE.

reuse. Il doit avoir une bonne raison, lui, et vous devez la connaître ou la deviner.

— Je n’en vois pas d’autre que la crainte de faire croire qu’il est…

— Votre fils ! Eh ! mon Dieu, j’ai tant entendu cette accusation que vous pouvez la formuler comme si j’y étais étrangère. Il y a longtemps qu’à force d’être une ntère persécutée et torturée, je ne suis plus une femme du monde. Parlez-moi comme à une paysanne. Gaston craint qu’on ne m’accuse… J’imagine qu’il ne me soupçonne pas, lui !

— Lui ? Oh ! non certes ! Il y a longtemps qu’il m’a franchement posé la question, résolu à accepter la réponse, quelle qu’elle fût. Entre nous, jamais un soupçon n’a pu naître. Il sait bien que, pas plus que lui, je n’ai jamais menti.

— Dieu merci, cher Salcède, reprit la comtesse, Roger sait de moi la même chose. Pourquoi donc ne i)as dire la vérité à lues deux enfans, quand la vérité est si facile à jurer devant Dieu et à faire entrer dans des consciences aussi droites ? Croyez-vous Roger moins pur que Gaston ?

— Ne répondez pas, monsieur de Salcède, s’écria Roger, qui s’était éveillé sans ouvrir les yeux, sans faire un mouvement, et qui tout à coup, rapide comme l’éclair et sans faire à moi aucune attention, avait franchi le rouleau de matelas et s’était élancé dans les bras du marquis. — Mon cher monsieur de Salcède, ne répondez pas. Je ne vaux pas Gaston, je le sais bien, et laissez-moi me confesser moi-même à présent que je… Oh ! maman ! ne m’en ôte pas le courage. Comme tu me regardes !.. Tu crois…

— Comment es-tu ici, et que faisais-tu là ? lui dit la comtesse, dont je ne pouvais voir la physionomie, mais dont l’accent mêlait quelque reproche à la tendresse.

— Il arrivait de Léville, répondit vivement Salcède, dont l’âme droite comprenait tout, et dont la générosité n’eût jamais consenti à révéler les défaillances de Roger. Il aura su que vous étiez ici. Il est arrivé de grand matin, il n’a pas voulu vous éveiller, et il a espéré achever sa nuit sur le premier lit venu.

— Non, ce n’est pas cela ! reprit Roger, je suis venu de Léville pour parler à maman de son bonheur et du mien, et je vais lui parler !.. Il est bien vrai que j’étais las et que j’ai dormi là en attendant, dormi si serré que je n’ai pas entendu sortir Charles et que je ne vous ai pas entendus entrer. Je rêvais de toi, maman, et ta voix me berçait comme au tenjps où j’étais un bébé que ta prière du soir endormait délicieusement ; puis j’ai entendu tes paroles comme dans un rêve, j’étais si bien que je ne voulais pas ouvrir les yeux et que je n’ai pas bougé jusqu’à ce que le sens soit devenu