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regards ailleurs et rappela les faibles avant-postes qui seuls avaient suivi la retraite des fédéraux. Sa victoire lui avait ouvert les portes du Maryland. Dès le 3 septembre 1862, il mit son armée en mouvement vers Leesburg et se prépara à passer le Potomac.

Ce passage était un grand événement pour la cause des confédérés. Ils abandonnaient la défensive pour prendre enfin le rôle offensif. Au point de vue strictement militaire, cette résolution était peut-être téméraire : elle pouvait compromettre les résultats de la brillante campagne qui venait de conduire l’armée de la Virginie septentrionale des bords du Rapidan à ceux du Potomac. Cette campagne l’avait laissée dans un état de dénûment qui semblait devoir lui imposer un temps d’arrêt. Vivres, équipemens, chaussures, munitions, tout lui manquait à la fois ; les routes étaient couvertes d’éclopés, les vides faits par de sanglantes batailles n’avaient pu être remplis. Enfin, en portant la guerre sur le territoire ennemi, Lee allait se priver des grands avantages que la défensive avait jusqu’alors assurés à sa cause. Il est vrai qu’il ne regardait pas le Maryland comme un pays ennemi. État à esclaves, les hommes politiques du sud le considéraient comme appartenant de droit à leur confédération, et les militaires comptaient y rencontrer les mêmes sympathies qui les avaient si puissamment aidés en Virginie. Les émigrés du Maryland réfugiés dans les rangs de l’armée de Lee avaient fait croire à ce général, malgré sa perspicacité, que des milliers de volontaires se rangeraient autour de lui dès qu’il paraîtrait sur le sol de leur état, et que cette terre, encore vierge des horreurs de la guerre, ravitaillerait son armée beaucoup mieux que les dépôts lointains de Richmond. D’ailleurs, en présence de la grande armée qui se reformait à Washington, l’invasion du Maryland était peut-être le seul moyen de protéger la Virginie. En menaçant les états du nord, Lee empêchait le gouvernement fédéral de renforcer l’armée du Potomac, et les qualités dont ses généraux et ses soldats venaient de donner la preuve lui permettaient de tenter la fortune. S’il n’avait rencontré d’autres adversaires que ceux qu’il venait de vaincre, s’il n’avait eu à déjouer que la stratégie du général Halleck ou de M. Staunton, une grande victoire, le blocus et peut-être même la prise de Washington auraient pu couronner son audacieuse entreprise. D’autre part, pour soutenir le courage des populations du sud, qui commençaient à souffrir cruellement, il fallait transporter les charges de la guerre sur le territoire ennemi : il fallait que le nord vît, à son tour, ses moissons ravagées, ses bestiaux enlevés, ses fermes réduites en cendres ; on croyait même que son ardeur belliqueuse ne résisterait pas à une telle épreuve. La voix unanime de l’armée réclamait cette invasion comme la récompense