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fantastique et de ce mirage doré dont nous aimions, il y a treize ans, à les envelopper. Aussi bien les auteurs ont-ils tiré de cette nécessité l’ingénieuse idée de suppléer par l’originalité des costumes, à la suppression du détail ethnographique dont nous parlions ; mais deux personnages ont perdu plus qu’on ne saurait dire : aux modifications qu’ont exigées des raisons du même ordre : le père Alexis, ce hon pope mollement enfoncé dans la béate somnolence de la gourmandise et l’amour enfantin de la peinture byzantine, qui dépouillait tout à coup son masque pour laisser entrevoir sous ses traits vulgaires une beauté de martyr, est devenu quelque parasite mal défini qui n’a guère de rôle que d’égayer par intervalles le fond tragique du sujet.

Il est vrai d’ajouter que l’acteur chargé du rôle l’a tourné par trop au grotesque. La physionomie qu’il s’est faites elle seule, et le singulier chapeau dont il s’est coiffé, soulèvent le rire avant qu’il ait parlé. Quant au docteur Wladimir, il est devenu presqu’un traître de mélodrame. Du moins Gilbert, quoique bien faiblement interprété, Stéphane et le comte ont-ils conservé leur physionomie vraie. Si les ménagemens habiles qui dans le roman tournaient d’abord en une sympathie rebelles, puis en amour bientôt, la haine que Stéphane avait ressentie pour Gilbert, ont dû nécessairement disparaître, et s’il semble que dans la pièce le changement soit un peu brusque et surprenne comme à l’improviste, cependant les traits essentiels ont conservé toute leur vigueur et leur originalité. Nous avons retrouvé dans Stéphane l’enfant malade et la jeune fille révoltée sous la dure contrainte qu’on lui impose, chez le comte, « cette grâce ironique des manières qui est le propre des grands seigneurs moscovites, et qui atteste une longue habitude de jouer avec les hommes et les choses. » L’un et l’autre rôle d’ailleurs sont convenablement tenus : celui de Stéphane a permis particulièrement à l’actrice qu’on en a chargée de prouver des qualités que ses débuts, il n’y a pas bien longtemps encore, avaient pu faire craindre qu’elle ne possédât pas. Nous ne croyons point que la pièce retrouve le succès du roman ; c’est beaucoup toutefois que de n’avoir pas échoué dans une tentative délicate et d’en sortir en somme à leur honneur, comme ont fait M. Raymond Deslandes et M. Cherbuliez. Le drame est émouvant. Les personnages intéressans, la scène nous transporte dans le monde de la fantaisie où le théâtre contemporain nous mène si rarement ; qu’eût-il fallu pour que le succès fût complet ? Peut-être seulement que le roman n’existât pas. M. Cherbuliez ne nous en voudra pas, si nous nous permettons de dire que tout le monde y eût perdu.


F. BRUNETIÈRE.



LES ASCENSIONS À GRANDE HAUTEUR.


L’air est autour de la terre comme un vaste réservoir où tous les êtres boivent la vie. Cette enveloppe gazeuse est composée d’oxygène et