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courir la mascarade à travers les rues de Madrid ! pourquoi pas rosser les alcades aussi ? L’amour qu’on croyait expiré dans le cœur de Carmen se réveille : elle essaie d’un dernier effort de passion pour séduire et sauver don Miguel, qui faiblit d’abord, — ce trait eût manqué au personnage, — refuse, et lui-même se remet à ceux qu’on avait chargés de l’arrêter. Désespérée, la duchesse va se jeter aux pieds du roi, qui s’abandonnait de grand matin à un monologue sur la mort. « Qui sait, disait-il, si les morts ne sont pas les vivans : »


......Et nous, vêtus d’un corps,
Qui sait si nous vivans ne sommes pas les morts ?

Certes nous savons bon gré à M. de Porto-Riche d’avoir suivi Shakspeare, mais nous ne pardonnons pas à Shakspeare de lui avoir fait mettre de si singulières paroles dans la bouche du plus catholique des rois catholiques. Heureusement qu’ici deux ou trois scènes ont relevé la fortune compromise du drame : la première ne manque pas d’une certaine agitation qui ressemble à du mouvement, d’une certaine brutalité qui ressemble à de la force. Le roi repousse la duchesse, raille ses sanglots, lui reproche amèrement ses dédains, sa froideur, puis, finissant par céder, jure sur l’Évangile de faire grâce au comte de La Cruz. Il n’a pas plus tôt juré qu’il apprend que l’appartement même de la duchesse a vu plus d’une fois les conjurés se réunir, — il n’en faut pas plus pour changer en certitude les soupçons jaloux qu’il a déjà conçus. Comme il cherche avec fureur un moyen « ténébreux » de se venger sans être parjure, à point nommé le duc d’Alcala revient de Flandre. Traîtreusement le roi persuade au vieillard que sa femme le trompe, au su de toute la cour, avec le comte de La Cruz : il tient désormais sa vengeance. Le duc empêchera Carmen d’arriver au pied de l’échafaud où Miguel va mourir, et l’obligera d’assister au supplice. Elle se frappe et meurt sur un coup de théâtre en désignant au duc le roi, qui passe gravement :


......Mon amant, le voilà !


Cette dernière scène surtout, quoiqu’elle tourne au mélodrame, produit néanmoins quelque effet ? il est vrai que, si ce dernier acte n’eût pas racheté quelque peu les trois autres, c’en était fait de la pièce et de toute la peine que l’Odéon avait prise pour organiser bruyamment le succès. Nous ne déciderons pas si la mise en scène, les décors, les costumes, sont plus luxueux ou l’interprétation plus médiocre. Il est triste que le second Théâtre-Français ne possède pas de meilleurs artistes et qu’il s’en console en mettant sur ses affiches les noms de ses décorateurs et de ses costumiers.

Il serait superflu de signaler maintenant les invraisemblances choquantes qui se heurtent dans la pièce, — un grand d’Espagne qui conspire contre la liberté des Flandres, — ce duc d’Alcala, qui parle si haut