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FLAMARANDE.

À Montesparre, on n’avait pas vu Roger. La baronne, sachant que j’étais là, vint me chercher pour m’interroger. Je n’avais pas le temps de lui tout dire et je ne jugeai pas utile de lui faire ma confession. Elle sut seulement que j’étais inquiet de Roger, qui paraissait avoir du chagrin ou du dépit. — Eh bien ! dit-elle, je le chercherai aussi, moi. Je vais monter en voilure et m’informer de lui d’un autre côté. Retournez à Flamarande par la montagne. J’y ramènerai Roger, si je le trouve. Vous voyez, il soupçonne quelque chose. Il n’y a qu’un remède, c’est le mien, un mariage entre Mme de Flamarande et Salcède après l’adoption de Gaston par Salcède.

J’étais trop troublé et trop démoralisé pour avoir une opinion. La baronne me fit donner un cheval frais et me força de prendre un peu de café. Elle me voyait pâle, et je sentais bien que je n’étais plus assez jeune pour cette vie agitée. Je me hâtai pourtant, espérant toujours rencontrer Roger ; je ne le rencontrai pas. J’espérais encore le retrouver à Flamarande ; il n’y avait pas reparu. Je me sentis alors tellement brisé que je dus aller me jeter sur mon lit en me disant : — Tu n’as eu d’énergie dans ta vie que pour faire le mal. À présent que tu veux faire le bien, la force te quitte et tu n’es plus bon que pour mourir.

Le brave Ambroise, lui, était sur pied et prenait sa médecine de paysan pour empêcher le retour de la fièvre. Il me força d’en prendre aussi comme tonique, et, m’engageant à dormir un peu, il sortit pour se mettre de son côté à la recherche de Roger.

Je fis bien de suivre son conseil, car un surcroît d’inquiétude m’attendait dans l’après-midi. Non-seulement ni Roger, ni Ambroise, ni M. de Salcède, ne reparurent de la journée, mais la soirée s’écoula, et je comptai avec des angoisses inexprimables les froides heures de la nuit à la porte du manoir, attendant toujours en vain et rêvant les plus sinistres événemens.

Gaston, après avoir vu sa mère et Charlotte, qui ne se doutaient de rien, s’était aussi remis en campagne, disant que M. de Salcède avait besoin de lui au Refuge pour un travail pressé. Ainsi pendant qu’une partie des habitans et des hôtes de Flamarande dormait tranquille, l’autre moitié était secrètement en proie aux tortures et à l’épouvante. Moi, je croyais à un suicide. Cette idée avait trop tourmenté ma vie pour que je ne fusse pas porté à l’attribuer aux autres. Je me promettais bien de ne pas survivre à mon cher enfant ; mais je n’avais pas la consolation de me dire que ma mort plus que ma vie servirait à quelque chose pour lui et les siens. Enfin, au coup de minuit, j’entendis marcher, et, courant à la rencontre du marcheur, je reconnus M. de Salcède. — J’ai vu Roger, me dit-il, et je lui ai tout expliqué. Il a été froid, mais calme,