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Leurs meurtres d’aujourd’hui, leurs futures victimes ;
         Et parmi les chansons, les cris,
Trouvent de çà, de là, sous leur main, sous leur bouche,
         De femmes un vénal essaim,
Dépouilles du vaincu, transfuges de sa couche,
         Pour la couche de l’assassin.

Le poète fait évidemment allusion ici aux fêtes secrètes de Passy que donnait l’ancien fermier-général Dupin et par lesquelles il s’était acquis quelques sympathies sur les bancs de la convention. Sauf l’austère Robespierre et l’illuminé Saint-Just, il semble bien que la plupart des conventionnels oubliaient volontiers le soir leurs terribles occupations de la journée. On cite surtout, parmi les convives de Dupin, les principaux membres du comité de sûreté générale, Vouland, Amar, le vieux Vadier, Jagot, Louis du Bas-Rhin. Le même personnel de plaisir et d’orgie, les mêmes actrices et les mêmes filles qui, quelques années auparavant, menaient si joyeusement leur train avec les financiers et les marquis, venaient chaque soir à ces rendez-vous galans de la terreur, honorant de leur tendresse les maîtres de la France, et riant avec eux des guillotinades du matin ou de celles du lendemain, surtout quand elles apprenaient par leurs nouveaux amans qu’un de leurs amans anciens était de la fournée. Ces soirs-là la fête était complète.

Une des dernières strophes de cette pièce soulèvera peut-être contre elle, à force d’énergie, quelque goût délicat ; mais alors supprimons la moitié d’Aristophane, mille fois plus hardi :


Le remords est, dit-on, l’enfer où tout s’expie.
         Quel remords agite le flanc,
Tourmente le sommeil du tribunal impie
         Qui mange, boit,… du sang ?
Car qui peut noblement de leur bande perverse
         Rendre les attentats fameux ?
Ces monstres sont impurs ; la lance qui les perce
         Sort impure, infecte comme eux.

Virgile a dit en parlant de Polyphème :


                   Jacuitque per antrum
Immensus, saniem eructans.

Pourquoi serions-nous plus sévères pour André Chénier que pour Virgile ?

Ce qui ajoute un vif et navrant intérêt à cette dernière exhumation des poèmes composés à Saint-Lazare, c’est qu’ils nous sont rendus aujourd’hui sous la forme même où ils ont été retrouvés, plus ou moins inachevés, avec des intervalles remplis de prose ou des vers suspendus. On y voit la méthode de travail du poète, se