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élémentaires contre un accident possible, la perte d’un manuscrit surpris aux mains du messager, et qui aurait compromis d’un seul coup la vie du guichetier et celle de son père, dépositaire de ses poésies. Voici ce qu’il avait imaginé. Il écrivait ses vers sur d’étroites bandes de papier, d’une écriture serrée, presque microscopique. Le dernier éditeur nous en a donné un très curieux fac-similé que l’on ne peut contempler sans émotion quand on songe que ce sont les dernières lignes dans lesquelles ait passé cette ardente pensée, sur lesquelles ait battu ce noble cœur, que cette page a été le dernier cri jeté par le poète vers l’histoire qu’il veut attendrir, vers la justice suprême qu’il accuse d’être tardive et sourde. Il y avait pour sa famille et pour ses amis un grand danger dans la violence de ces magnifiques anathèmes contre les Barère, les Couthon, les Collot-d’Herbois, les Fouquier-Tinville, les Robespierre. Il est obligé d’indiquer ces noms par des points ou des blancs. Presque toujours, dans ses plus libres inventions, il feint, pour dépister l’agent qui trouverait le manuscrit, de les avoir prises dans quelque auteur grec qu’il indique à la fin du morceau : traduit de Cratinus, traduit des Baptes d’Eupolis, etc. Un autre moyen qu’il emploie est l’abréviation. Ainsi un manuscrit porte ce texte :


Lisez : Un vulg. ass. ss. va chercher les ténèbres.
Lisez : Un vulgaire assassin va chercher les ténèbres.

Mais l’expédient le plus sûr, : qui lui était indiqué par la connaissance et l’usage qu’il avait de la langue grecque, était d’entremêler ses vers les plus hardis de mots qui devaient pour le coup arrêter net les Herman ou les Verney en quête de sa pensée. Les exemples de cette transposition d’une langue dans l’autre sont très nombreux dans ses dernières poésies. Quel administrateur de police aurait vu clair dans la terrible pièce dont nous avons le canevas et qui commence ainsi :


Ὁ σταυρός est pour eux une πήγη féconde.


Traduisez :


L’échafaud est pour eux une source féconde.

Le poète se proposait de décrire la joie de cette populace dépravée qui va voir guillotiner comme on va au spectacle. Le premier vers déconcertait les curieux. De même, comment auraient-ils pu comprendre quelque chose à une strophe pareille :


O. g. — d. de L. sous les voûtes royales
         Par nos μαιδαν déchirés,
Vos têtes sur un fer ont pour nos bacch.,
         Orné nos portes τριομφ.